"Rayon de soleil" Ft. Atcharyam

La jument arrivée au camp indien s'était endormie. Si au départ, j'avais trouvé ce comportement outrageusement culotté venant d'elle d'arriver et de s'installer comme si elle s'était trouvée sur son territoire, j'avais fini par ruminer ma colère et, comme tout mauvais sentiment, à force de temps et d'un peu de patience, elle était finalement passée. La voix de la raison et de la bienveillance s'était réveillée dans mon for intérieur, pour m'appeler à un peu de tolérance. C'est qu'elle devait être fatiguée, et je ne devais pas toujours tout prendre de mauvaise façon. Si elle s'était endormie, c'était sans doute parce qu'elle se sentait, soit bien trop épuisée pour continuer à converser avec un cheval aussi désagréable que moi, soit parce qu'elle se sentait suffisamment en confiance et en sécurité pour se permettre de baisser ainsi sa garde. Même si je trouvais ça imprudent, je ne parvins pas à m'empêcher de penser qu'après tout, si je n'étais pas une compagnie agréable, je n'étais pas non plus dangereux pour autant.

J'avais hésité à partir, d'autant qu'il s'était mis à pleuvoir depuis peu. Les paysages étaient brumeux, et je me surpris à apprécier cette atmosphère mystérieuse, secrète et emplie d'énigmes. C'était comme si le brouillard s'amusait à cacher les paysages pour mettre à l'épreuve ma mémoire et ma capacité à deviner ce qui se trouvait un peu plus loin. La quiétude était revenue apaiser mon esprit, même si auparavant, j'avais été agacé de me sentir pris au piège.

Pris au piège, oui. Pris au piège parce que je voulais m'éloigner, mais je craignais trop qu'elle ne simule de dormir pour mieux accomplir une bien sombre mission. Pris au piège aussi, parce que j'étais naturellement bien trop protecteur pour laisser une jument exténuée dormir aussi paisiblement sans surveillance, et disparaître dans mon camp indien. Alors je restais là. Après tout, entre les chiens, les chevaux et ses camarades bipèdes, Plume de Phoenix avait de la compagnie chez nous. Asrae était seule, donc il était plus prudent de monter la garde non loin pendant qu'elle se reposait.

Je restais debout, à l'orée de la forêt, à contempler l'horizon légèrement rougeoyant : la faute au soleil qui luttait contre les nuages en se levant. Durant la nuit, j'avais peu dormi, mais je n'étais pas fatigué. Souvent, j'étais resté éveillé et n'avais rattrapé mon sommeil que la nuit suivante, et ce serait le cas ce soir. J'avais beaucoup observé : les nuages et leur course folle dans le ciel, poussés par le vent, les feuillages pliant sous cette ambiance presque apocalyptique, l'herbe dansante sous le ciel noir, et les rares étoiles qui passaient entre deux orages et qui rappelaient pour peu qu'on veuille bien l'interpréter, que même lors de sinistres passages, la vie gardait, bien cachées, quelques étincelles pour nous éblouir. Et voilà le soleil qui paraissait, et donnait de sa lumière encore étouffée par les lointaines silhouettes des montagnes derrières lesquelles il s'élevait. La pluie qui tombait n'en était que plus belle, mise en valeur par cette clarté matinale légèrement voilée. Mes yeux se délectaient du spectacle.

Puis mon oreille pivota. Un bruissement attira mon attention, et c'est à contrecœur que je tournai la tête vers le bruit qui m'avait fait perdre ma contemplation. La jument, Asrae, s'était visiblement réveillée. J'eus un sourire cynique en la voyant retourner dans la forêt, comme si elle ne m'avait pas vu, et me décidai à la suivre.

Une fois arrivé à sa hauteur, je demandai sur un ton emprunt de provocation, pour la taquiner un peu :

HRP: