Que m'importe vos frontières?

La ponette secoua la tête, et sentit les rênes claquer contre son encolure. Ted marchait à côté d'elle, avec l'air de quelqu'un qui tente d'être discret. Comme s'il était possible d'être discret, alors que les métaux précieux et les pierres rares qui décoraient son harnachement brillaient à chaque pas comme des paillettes de lumière. Mais elle appréciait qu'il demeure pied à terre, son cavalier, parce qu'il pesait lourd pour une petite ponette comme elle, et parce qu'il faisait un piètre cavalier. Même si elle eût été plus grande, sans doute aurait-il préféré aller à pieds tout de même. Il avait déjà tenté de m'échanger contre une monture à sa taille, mais personne n'avait accepté, certains simplement pour se moquer de lui. Ce n'était pas bien gentil. Il ne faisait de mal à personne, mon cavalier... Enfin, je crois.

J'aperçus soudainement du mouvement, au loin. Ted sembla aussi l'apercevoir et me tira brusquement derrière un gros rocher, comme s'il ne voulait pas qu'on soit repérés. Pleine de bonne volonté, je me tournais pour dissimuler ma croupe qui dépassait encore, et il me remercia d'une vague tape sur l'encolure. Je jetais discrètement un regard derrière le roc, pour découvrir la masse imposante d'un cheval dont la morphologie plutôt lourde ne pouvait pas faire douter de ses origines de trait. Au début, je cru qu'il n'avait pas de tête, et mes yeux s'agrandirent. Puis je vis, perchée sur son encolure sombre, une face grisonnante qui se fondait avec le ciel à l'horizon. Étrange robe. Peut-être avait-il vieilli de la tête ? Bizarre. Il y eut du mouvement près de ses sabots, et je portais mon attention sur un minuscule poulain qui s'y trouvait. Non, pas un poulain. C'était un poney, il n'avait pas les longs membres et les crins courts d'un poulain. En fait, il n'avait rien d'un poulain, si ce n'est la taille. J'entendis Ted murmurer quelque chose qui ressemblait à un "Il aurait été à ma taille, lui !". Je penchais la tête, ne comprenant pas. Je voyais mal comment il aurait pu monter le minuscule animal, alors que j'étais déjà trop petite. Et puis je compris qu'il parlait du grand. Et je me dis qu'en effet, il aurait été une monture parfaite pour lui ; comme ça, il aurait pu être aussi perché en hauteur qu'il l'était dans sa tête. Mais bon, c'était un chic type, je crois, et il était pas si con, je crois. Il se doutait bien que j'arriverais jamais à convaincre le gros de devenir son cheval. Qu'est-ce que j'aurais pu faire ? Me planter devant les deux, "Salut petit, contente de voir que je ne suis pas la seule naine par ici, et toi le gros, sois gentil sinon je te mords les boulets avec mon nouveau pote nain jusqu'à ce qu'on t'ai arraché tous tes poils de fanons". Non, vraiment, il n'était pas assez con pour croire que je pouvais faire ça. Il avait bien un lasso sur lui, mais je pense qu'il ne souhaitait pas vraiment se lancer dans un ballet aérien. Il consentit à renoncer à Vieille-Tête et à son ami miniature, et se jucha sans grâce sur mon dos pour prendre le chemin du retour.