Another day another song

Une moue réfléchie s’empara du joli visage d’Ozalee, mais aucune autre émotion ne se reflétait dans ses yeux azur, ce qui agaça légèrement Flamme, qui ne se départit pas pour autant de son sourire. Placide, elle répondit enfin, avec beaucoup d’attention, comme si elle avait répété maintes et maintes fois ce discours, comme si tous lui posaient la question, et qu’elle s’était forgé quelques phrases pour répondre aux indiscrets :
-Je ne suis pas vraiment triste. Je suis très fière qu'il mène si bien son rôle, qu'il parvienne à apporter son aide au campement, et je sais que le devoir a toujours un prix. Et si moi-même je souhaite suivre son exemple, je suis consciente des sacrifices à faire.

La pouliche hocha la tête, étonnée du sérieux et de la maturité venant de la blanche, alors que leurs âges n’étaient pas si éloignés, en fin de compte. Puis, la princesse se reprit, et d’humeur plus joyeuse, répliqua sur un nouveau sujet :
-Mais sinon, toi, que fais-tu de spécial en ce moment ? C'est vrai qu'avant on ne se connaissait pas trop ...

Lâchant sans faire exprès un petit rire, l’ambre sourit. Elles ne se connaissaient toujours pas, et devant ses airs angéliques, se cachait bien un démon, qui n’attendait que de sortir. Mais ça, personne, aucun des indiens ne le savaient, et elle ne comptait le crier sous tous les toits. Ce n’était pas la bonne technique, ni pour sa popularité dans le camp, ni pour sa survie. Car peut-être qu’on la virerait du camp, et ça, ce ne serait pas une bonne nouvelle.
« Oh, pas grand-chose de particulier. Je découvre vos coutumes, le territoire que vous avez. C’est bien dommage qu’on ne se connaisse toujours pas, d’ailleurs … Tu as l’air si gentille ! Pas comme moi … »

-Pourquoi dis-tu cela ? C'est vrai, on ne se connaît vraiment, mais tu m'as l'air quelqu'un de très gentil.

Flamme cligna des paupières plusieurs fois, se croyant dans un rêve. C’était la première fois de sa vie qu’un équidé lui trouvait un air sympathique. Elle fixa avec attention Ozalee. Son regard brillait de gentillesse, et de jovialité. Sans nul doute, la pouliche comprit que la yearling croyait vraiment à ses paroles, dites sur le ton de l’étonnement, et de l’incompréhension. Elle ne devait jamais avoir connu quelqu’un d’aussi fourbe, son piège n’en serait que plus douloureux. D’ailleurs, comme si la blanche entendait ses pensées, elle s’avança, toute aussi jolie qu’à l’arrêt, avant de se stopper près de l’ambre.
-J'ignore ce que tu as traversé, mais si tu en as besoin, tu peux m'en parler.

La nouvelle indienne éclata de rire, un son cruel qui s’échappa malencontreusement de sa gorge. Ses iris orangées semblèrent se réveiller, et son âme aussi sombre que le Styx se mouvementait dans son esprit. Tout en elle était prêt à se bondir sur sa nouvelle proie, la fille du grand Anoki. Enfin, elle la tenait !
« Parce que tu crois vraiment que je vais me confier à une petite princesse naïve et ridicule comme toi ? Non, mais sérieusement, va te recoucher ma grande, je ne vais pas t’avouer tous mes secrets de ma vie antérieure ! »

Elle souriait joyeusement, pressée de continuer à la rembarrer sans rien attendre de la part de l’autre en retour. Juste en espérant qu’elle ne parte pas au triple galop dans la forêt, et qu’elle s’isole pour pleurnicher, en comprenant enfin qu’elle était si bête ! Parce que si Ozalee la trouvait méchante, ce n’était malheureusement pour elle pas grand-chose, voire rien. Ce n’était que le début, et ça ne ferait qu’envenimer.

O
zlee fronça ses sourcils, tandis que quelques indiens observaient les deux pouliches à la dérobée. Son rire, un peu trop fort, lui valut des regards courroucés, des pointages de doigts potelés, des hennissements discrets qu'elle parvint à déchiffrer tout de même. On s'interrogeait, mais on ne bougeait pas d'un poil. Pourquoi l'adorable Flamme aurait quelque chose à reprocher à la fantastique Ozalee, fille du grand Anoki ?
-Je te demande pardon, nous ne sommes pas assez proche pour que tu me racontes quoi que ce soit, surtout si ton passé est douloureux. Je...Je ne veux pas que tu te sentes obligé de me raconter, tu ne me dois rien.

L'ambre lâcha un soupir exaspéré, trop assommée par la gentillesse naïve de la petite princesse. Mais elle ne lâcherait pas, et opterait pour une façon plus fourbe, moins voyante. C'est plus amusant de gueuler, gueuler, sans réfléchir, et voir le visage de l'autre s'affaisser, mais bon. S'il fallait réfléchir, elle réfléchirait. Mais elle ne voulait que voir ce petit cœur débordant d'affection pour tous les êtres vivants être détruit. Le temps d'une journée, seulement, voir d'une heure, mais par pitié, on arrête ce regard vif et joyeux, c'en était trop pour la yearling. Elle se recula, et proposa de la laisser seule. Mais oui, bien sûr, elle avait agi dans un accès de folie, tant elle était triste de ne plus voir ses parents. Dieu que c'était ennuyeux cette histoire. Elle avait agi après réflexion, pas par un trop-plein d'émotions.
"Je ne peux pas raconter ma vie. Pas à la petite fille du grand Anoki. Tu sais, ton père fantôme ?"

Elle lâcha un sourire joyeux, et avança d'un pas, reportant la distance qu'elles avaient au départ.

« Tu sais, contrairement à ce que tu penses, j'avance dans la vie, et si la présence de mon père s'estompe, n'est-ce pas normal? Je crois qu'un peu de solitude reste logique quand on vieillit. Pourtant, je ne perds pas tout contact avec Anoki, si c'est ce que tu te demandes … »

Oh mais ce qu'elle était philosophique. C'était si blasant … Si … Mature ? L'indienne fut malgré elle étonnée de voir à quel point la blanche prenait bien le fait que son père privilégie son rôle plutôt que sa fille. Elle, elle l'aurait très mal pris.

Néanmoins, malgré tous les efforts de la champagne, rien ne semblait toucher Ozalee. Pourtant, c'était ce qu'elle souhaitait le plus en ce moment-même. Son sourire éclatant, ses prunelles joyeuses, ses oreilles en avant, son rire, tout en elle était positif. On mourrait d'envie que la petite princesse nous adresse la parole, daigne nous regarder, entamer une discussion, voire même une relation. On voulait qu'elle nous apporte un peu de sa joie, en fin de compte. Mais pas Flamme. Flamme, elle ne voulait que son malheur.

"Allons, Ozalee, dis-moi … pourquoi tu ne me dis pas la vérité ? Après tout, on pourrait bien s'entendre, on est les seules pouliches de ce troupeau. Il faut bien qu'on connaisse nos petits secrets ?" fit-elle dans un sourire enjôleur, dans un battement de cils. Elle espérait ainsi la tromper, et, il fallait bien le dire, la yearling jouait bien son rôle d'actrice.

La yearling sourit et répondit, les yeux dans le vague :
« Je serai ravie de partager mes pensées avec toi! Par exemple, je crois que j’aime bien un étalon...Mais rien n’est moins sûr. »

Oh, voilà qui était intéressant ! Flamme scruta chaque mâle qui se trouvait dans les parages, mais après tout, ils étaient nombreux. Et sans doute que la blanche aurait préféré passer son temps avec l’heureux élu plutôt qu’avec elle. Donc il était probable que ce ne soit pas un étalon indien. Un soldat ? Après tout, d’après les dires, les humains de ces deux catégories étaient dans de bons termes, donc … Ouh, que la perspective d’avoir une perche était plaisant ! Elle voulait en savoir davantage, absolument !
« Et toi ? Quels sont tes secrets ? »

L’ambre ouvrit ses yeux enflammés encore plus. Ses secrets ? Oh, à part qu’elle était un brin fourbe, qu’elle voulait la faire souffrir et qu’elle était malicieuse dans le mauvais sens du terme, non, Ozalee savait tout.
« Je vais très bien, je n’ai pas de secrets, quand j’y pense … Pas d’amoureux, pas d’ennemis (si elle savait …). Une vie bien plate en fin de compte. Mais parlons plutôt de toi, votre amour, si je peux appeler ça “amour“ est réciproque ? Et si ce n’est pas trop indiscret, c’est quiii ? »

         "Non,je ne sais ce qu'il pense de moi...Quant à son identité, je ne peux te la révéler. Si cela ne concernait que moi, je n'aurai rien à cacher à personne !surtout à toi.Mais il vient tout juste de se livrer à moi...."  

     Rah … Bon, seulement Flamme savait attendre … Elle hocha la tête, avec un petit sourire, bien que tout son être bouillait par l'énervement. Elle aurait tellement voulu savoir. Mais non, parce qu'Ozalee était trop gentille, et qu'elle voulait garder la confiance des personnes. L'ambre retint ça dans un coin de sa tête, quitte à revenir à la charge dans quelques semaines.
"Tu es si belle! Je ne peux croire qu'aucun étalon ne soit charmé…

      La pouliche pencha légèrement la tête, et battit les cils avec insistance. Malgré qu'elle sache qu'elle était magnifique, et que la petite princesse était bienveillante avec tout le monde, cela faisait toujours plaisir. Un compliment ne fait de mal à personne, et suffit à redonner le baume au cœur. Elle baissa tout de même la tête, et regarda quelques instants ses sabots, des gestes automatiques pour jouer la timide. Puis releva les yeux et fixa les prunelles azures de la yearling, tout en reprenant :
« Oh, comme tu es gentille … Je vais pourtant te dire que, non, aucun poulain ne m'a vraiment déclaré sa flamme. Peut-être mon caractère tempêtueux ? »

      L'indienne écarquilla les yeux, comme cherchant une explication plausible au problème.

La princesse sourit avec une joie sans égale. Mais il reflétait surtout une naïveté de la vie. Elle n'avait connu que la douceur, la famille, l'amour, bien qu'il soit parfois fantôme, ou interdit. La réalité du monde ne la touchait pas, elle était bien trop dorlotée. On disait de Flamme qu'elle avait un méchant fond, mais elle contredisait souvent ces faibles. Ce n'était pas de la méchanceté, mais une carapace. Qu'ils étaient débiles, les autres, de juger sans connaître. Elle ne se permettrait jamais de faire ça, oh non.
« Impétueux?Tu n’en as pas l’air, mais je ne te connais que peu. En tout cas, il faudra qu’on se revoit, ainsi on se connaîtra mieux ! »

Pas. Elle ne la connaissait pas, juste une façade pour s'attirer la bonté des autres. La champagne agissait avec subtilité, elle était maligne. Elle observa la yearling repartir, elle et sa robe parfaite, son physique parfait, sa gentillesse parfaite, et sa naïveté parfaite. Qu'elle parte, ce ne sera que pour mieux se retrouver, et en finir avec elle et ses agaçants sourires débiles.