Comme un habitué des lieux, ft Aliory

  Un léger crachin s'abattait sur les terres du Cimarron. Toute faune s'était réfugiée dans les terriers, sous les arbres, pressentant la tempête, qui ne tarderait pas. Stardust galopait dans les hautes herbes, insensible à la pluie, qui, malgré sa douceur, trempait. Il profitait de la fraîcheur, ne sachant que trop bien la canicule, qui parvenait au fort, chaque été. Si ses membres étaient humides, que toute sa silhouette était recouverte d'une fine pellicule d'eau, il conservait ce léger sourire sur le coin des lèvres. On pourrait, à première vue, le prendre pour un imbécile, à paraître heureux, et à sourire pour rien, mais il se plaisait ici. Il se contrefichait du regard des autres sur sa joie. Il avait sa place, des amis, soldats, indiens, sauvages même, voire son cavalier, et rien ne pourrait le rendre malheureux. Plus même ses ennemis, avec qui il limitait les échanges. Ou même la météo. Il appréciait le moment venu, et cette balade avait été bienvenue.

  Au loin, on apercevait la fumée si particulière et le fumet facilement identifiable des indiens. Le gris dressa les oreilles, et repassa au trot, en s'engageant dans le chemin qui les menait chez les hommes mates. Il espérait revoir Odakotah, ou même Anoki, avec qui il avait sympathisé, durant ses quelques visites. Désormais, il était un habitué des lieux, et se sentait plutôt à l'aise, dans cette foule inhabituelle et désordonnée. Partout, des enfants criaient, jouaient, des mères grondaient, cuisinaient, des hommes chassaient, discutaient. Un brouhaha appréciable qui requinquait souvent Martin. Le bleu se redressa, et mit pied à terre avant même que le pommelé soit arrêté. Il se souvint d'ailleurs avec amusement la honte du colonel, qui avait trébuché et manqué s'affaler dans l'herbe, à sa première visite officielle.

 Il s'apprêtait à partir en vadrouille, attendant qu'on le lâche, quand on tira sur ses rênes. Légèrement grognon, il rechigna, mais un regard noir de Martin lui fit comprendre qu'il n'avait pas le choix. La mort dans l'âme, il se vit se faire attacher à un piquet, près d'un enclos. Le soldat expliqua au chef des indiens que sa monture se faisait souvent la malle, en cette période, et qu'il était même rentré avec sa selle déchiquetée et plein de blessures. Et comme il était agacé de ces fugues, il préféra le laisser dans un lieu sûr. Il était vrai que sa croupe était pleine de cicatrices, souvenir d'un combat avec un cougar. Mais la douleur avait laissé place à une fierté. Il avait sauvé une ponette en gestation d'une mort certaine !

  L'étalon se retrouva donc seul avec ses souvenirs de guerre, une fois que les deux leaders s'engouffrèrent dans le tipi du plus ancien. Il sentait que ce n'était pas aujourd'hui qu'ils reverrait le pie, ou le noiraud. Il risquait même plutôt de s'ennuyer. Il s'appuya nonchalamment à la barrière, qui le tenait prisonnier, et fit le tour des effectifs. Incapable de dire qui il manquait, si des chevaux avaient rejoint les disparus, il s'amusait simplement à regarder les équidés, et leurs propriétaires. Certains avaient un tel lien de complicité que c'en était émouvant. Et son regard intrigué se posa sur une jument bicolore, qui l'observait, sous la pluie. Il lui sourit, enthousiaste à l'idée de sortir de son ennui, et s'exclama :
"Bonjour, Stardust, monture du colonel des soldats ! A qui ai-je l'honneur ?"

  La jument lui renvoyait son regard, alors qu'il souriait toujours. Elle paraissait soucieuse, ou du moins peu agréable à première vue. Il en vint à se demander si elle n'allait pas lui sauter dessus, et le frapper jusqu'à ce qu'il disparaisse, tant elle était farouche. Et pourtant, elle s'approcha. Peut-être était-ce son regard franc et honnête, ou bien les rumeurs, mais elle avait eu assez confiance. Il était vrai qu'il commençait à être l'un de ceux qui se rendaient le plus souvent dans ce campement, à son grand plaisir. Le contraste entre le fort et le rassemblement de tipis était saisissant. L'ambiance était différente, et le confort sans doute aussi. Et pourtant, alors qu'il aurait souhaité plus que tout rejoindre les Lakotas, avant, aujourd'hui la stabule était sa maison. Et il ne regrettait pas de ne pas être parti.
Aliory. Monture d'Anouk.

  Il hocha la tête. Derrière elle, de jeunes filles discutaient non loin, mais il ne sut dire laquelle était sa cavalière. Dans tous les cas, toutes resplendissaient de jeunesse et de bonne humeur. Elles ne paraissaient pas même se soucier du vent et de la pluie. Leurs rires résonnaient dans la clairière, réchauffant les cœurs refroidis par le crachin glacial. Et pour sa part, par les yeux méfiants de l'indienne. Ce regard lui rappelait une certaine Khyda, qui était réputée pour avoir des iris glaciales, méprisant quiconque passait sur ses rayons laser qui lui servaient d'yeux. Il n'avait plus eu de nouvelles, depuis sa fugue, mais s'acharnait à croire qu'elle allait bien. Elle qui se disait invincible, et sauvage.

 Il se décala légèrement, afin de donner toute son attention à la bicolore. Le pommelé ne sut pas vraiment si le silence qui suivit sa réponse était comme un ordre qu'il se taise, ou bien une invitation à poursuivre. Mais puisqu'elle s'était rapprochée, il pencha pour la seconde solution, en espérant ne pas s'être trompé.
Comment allez-vous par ce temps … Pluvieux ?

  Il lâcha un petit rire, et lança un regard désespéré au ciel, pour la forme. Il se sentait mal à l'aise, scruté en permanence par cette Aliory, et se demanda même s'il n'était pas mieux seul. Mais peut-être saurait-elle se décoincer, et apprendre à sourire au cours de leur conversation ?

 Une jeune fille se démarqua du groupe d'adolescentes, et s'avança vers sa jument, qui n'opposa aucune résistance à la venue de sa propriétaire. Jouant tranquillement avec ses crins, elle observait Stardust de biais, de ses yeux de jais. Puis, ladite Aliory s'avança, laissant le bout de femme de côté. Toujours aussi neutre, elle paraissait pourtant plus détendue, et heureusement un peu apte à continuer la conversation. Il en était rassuré, car être le seul qui parlait n'était pas son fort. Il arrivait à tenir la discussion mais quand l'autre ne voulait pas faire connaissance, qu'il se taise.  
"Pas si mal que cela, et vous?"

  Le pommelé secoua la tête, et quelques gouttes de pluie s'envolèrent non loin, pour se loger sur la clôture moussue sur laquelle il s'appuyait. D'autres se posèrent délicatement sur ses membres, lesquels s'enroulaient autour de l'herbe humide. Mais inlassablement, la bruine ne s'arrêtait pas de tomber, crachin désagréable et régulier. L'autre s'assit, non loin, et le gris cessa de regarder la jeune fille aux cheveux corbeau. Il se décida enfin à répondre, après avoir scruté sa robe bicolore fort étrange intensivement, sentant qu'il ne fallait pas laisser plus de silence encore. Il était bien malpoli déjà de l'examiner de la sorte, déjà qu'elle n'était pas des plus aimables. Il s'exclama :
"Toujours heureux de faire de nouvelles rencontres !"

 Il sourit, bien décidé à la dérider un peu. Puisqu'il était attaché, qu'il passe du bon temps !