« And suddenly the world stopped. »

Messages : 4 Points d'XP : 16 Date d'inscription : 08/09/2020

Suddenly the world stopped

AQUARELLE

La vie qui grandissait en elle, et arrondissait ses flancs, volait peu à peu son énergie. La petite Aquarelle se sentait un peu plus faible à chaque instant, subissant la morsure de la cravache et des éperons qui la pressaient, qui écorchaient ses chairs. Son corps œuvrait pour la survie de cet être sans nom plus encore que pour la sienne. Et elle se battait pour lui, elle vivait, survivait, pour lui. Elle l'aimait, ô combien elle l'aimait malgré tout ! Mais son petit corps frêle souffrait, le poids sur son dos devenait de plus en plus difficilement supportable, et elle craignait de ne plus pouvoir avancer encore bien loin. Allait-elle mourir ? Cette idée la faisait frissonner. Mourir, disparaître à jamais. S'éteindre comme une flamme vacillante depuis trop longtemps. Elle était si jeune ! Elle aimait la vie. N'était-elle que poussière ? Allait-elle être emportée par le vent, si fragile, si insignifiante ?

Son angoisse, elle aussi, lui titillait sans cesse le bas-ventre. Elle savait qu'elle ne devrait pas, qu'il n'était pas bon de conserver toute cette anxiété. Mais elle ne parvenait à faire autrement. Quelque chose changeait, quelque chose se tramait, qui allait bousculer sa vie un peu plus. Pas seulement son enfant à naître. Parce que son enfant serait tout ce qu'elle n'était pas ; il serait parfait. Non, le loup qui guettait et qu'elle craignait, c'était son cavalier. Elle ne comprenait pas ce que Jack avait en tête. Lui qui, d'habitude, ne restait jamais au même endroit, lui qui la poussait toujours plus loin, lui qui ne s'attardait jamais auprès de ses semblables semblait chercher quelque chose. De plus en plus souvent, il la laissait seule aux Pics Rocheux, et s'éloignait, parfois plusieurs heures. Une fois même, elle l'avait vu avec un autre humain. Cherchait-il à se procurer une autre monture, pour la remplacer ? Elle devenait de plus en plus lente, de plus en plus faible. Allait-il l'abandonner, pour de bon ? Le moment était-il venu ? Elle redoutait ce jour. Qu'adviendrait-il alors d'elle ? Et de son fils à venir ? Chaque fois qu'il l'entravait et le laissait derrière lui, parmi les roches d'ocre, sa terreur redoublait. Elle eut un petit frisson en se remémorant la toute première fois où cela était advenu. Ce jour-là, il y avait eu une autre jument avec elle, quelques instants simplement, mais quelques instants qui lui avaient réchauffé le cœur. Ambre. Elle aurait aimé pouvoir partir avec elle, dans ce "Fort", avec ces "soldats". Peut-être l'auraient-ils prise comme monture ? Elle n'était pas bien forte, pas bien exceptionnelle, mais qui sait ? Peut-être même, une fois Jack l'aurait-il abandonné, pourrait-elle arpenter le désert à la recherche de l'endroit où vivait la jument champagne. Oui, s'il la laissait sans entraves ce jour-là, voilà ce qu'elle ferait. Et s'il la laissait entravée... Elle devrait essayer tout de même, parce qu'elle devait survivre, pour son fils.
Un instant, elle oublia un peu toute sa crainte, toute sa peine enfouie si profondément. Un instant encore, elle pouvait espérer vivre. Et voir grandir ce fils que son corps et son être tout entier désiraient si ardemment qu'elle en dépérissait lentement. Elle avait toujours dépérit. Malade intérieurement, fragile dans son cœur plus que ne l'était son corps meurtri.

(c) PF

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Suddenly the world stopped

AQUARELLE

La petite jument trébucha. Son cœur eut un sursaut lorsque le poids de son cavalier l'attira vers le sol ; mais elle retrouva son équilibre et se rétablit avant même que le mors métallique ne vienne tinter douloureusement contre ses dents. Jack se raidit, et elle sût qu'elle l'avait énervé. Elle aurait préféré qu'il gronde, qu'il tempête, qu'il lui hurle dessus. Mais Jack ne disait jamais rien, et c'était sans doute pire. Cela lui rappelait combien elle était insignifiante, combien elle ne valait pas même la peine qu'il use sa voix sur des mots, que, de toute façon, elle était trop stupide pour comprendre. Il ne communiquait avec elle qu'à travers la morsure des éperons et de la cravache, la douleur d'un à-coup du mors dans les dents, parfois la dureté d'une main qui frappe. Elle savait qu'il était satisfait d'elle lorsqu'il l'ignorait.
Il la talonna pour la presser d'avancer. Sans doute n'appréciait-il pas cet endroit ; les collines défrichées étaient un lieu bien trop exposé pour un homme comme lui, qui sans cesse fuyait les autres. Elle allongea les foulées, s'efforçant du mieux qu'elle pouvait de satisfaire son cavalier malgré l'inconfort qu'elle ressentait dans le ballottement de son ventre trop imposant et lourd, malgré la fatigue de ses membres. Elle essayait de se concentrer sur son pas : ne pas songer à la douleur, ne pas s'apitoyer, marcher, marcher. Tenir le rythme. Surtout, ne pas se laisser faiblir. Mais elle était si faible ! Si elle n'avait pas eu cet humain pour la forcer à enchaîner pas après pas, elle se serait probablement écroulée quelque part. Elle faisait violence à sa fragile nature. Elle se concentrait tant qu'elle ne remarqua pas immédiatement la présence. Ce ne fut que lorsque Jack changea légèrement de posture, probablement pour mieux voir celui qui arrivait, qu'elle releva la tête et les vit. Deux chevaux, dont l'un, le plus massif, était monté par un cavalier.

(c) PF

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Suddenly the world stopped

AQUARELLE

Aquarelle s'attendait à ce que Jack tire brusquement sur ses rênes, la presse de changer de direction et de s'éloigner au plus vite. C'était toujours ainsi qu'il réagissait, lorsqu'il croisait la route d'un cavalier. Mais pas cette fois.
Il lâcha ses rênes et porta ses mains à sa bouche, qui laissa échapper un long sifflement. L'autre cavalier s'arrêta, et lui adressa un signe. D'une brusque pression des jambes, Jack ordonna le trot à sa monture. Elle fit quelques foulées inconfortables, les jambes contre ses flancs lui imposant d'accélérer encore, avant d'opter pour le galop. Elle fut soulagée que son cavalier ne la réprimande pas alors qu'il ne lui avait pas demandé cette allure-là ; au contraire, il l'incitait encore à accélérer. En quelques dizaines de secondes, la distance qui les séparait de l'autre cavalier était derrière eux, et Aquarelle se stoppa à une poignée de mètres. Le cheval monté était un robuste mâle alezan à la crinière blonde ondulée. Il lui accorda à peine un regard, froid et méprisant, et battit de la queue dans un geste plein de dédain et d'impatience. L'humain sur son dos ne semblait guère plus avenant, et saluait Jack d'une voix rude. Visiblement les deux hommes se connaissaient. Pourtant, Aquarelle était sûre de n'avoir jamais vu ni ce cavalier, ni sa monture. Elle osa un regard vers le second cheval. C'était un bel entier de type ibérique, avec une robe crème étonnement pâle. Son corps était marqué de plusieurs plaies récentes, encore suintantes, et son encolure serrée par une corde. Elle sentit son cœur se serrer en comprenant qu'il s'agissait d'un cheval sauvage encore quelques instants plus tôt. A présent, il l'étudiait avec une expression d'épuisement résolu, de ses deux yeux si pâles que même la pupille semblait plus gris-bleuté que noire.

« Jolie bête que voilà, Joe. »

Aquarelle n'avait plus entendu la voix de son cavalier depuis plusieurs jours déjà, et s'étonna de son ton inhabituel, plein d'une pudique admiration. Lorsqu'il parlait, ce qui était déjà rare, c'était souvent avec sécheresse. Elle aurait sans doute été plus étonnée encore si elle avait pu comprendre ses paroles, parce que les lèvres de Jack ne laissaient jamais échapper le moindre compliment.

(c) PF

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Suddenly the world stopped

AQUARELLE

Les deux cavaliers échangeaient toujours. Aquarelle ressentait la tension qui régnait, la méfiance dans leur voix malgré une façade de politesse. Elle avait un peu de mal à suivre le rythme du robuste alezan, qui marchait à bonne allure, l'encolure dressée et le visage fermé. Mais elle s'efforçait de rester à sa hauteur, à la place que lui avait attribuée son cavalier. A ses côtés, le cremello marchait, la tête basse, ses cils s'agitant au-dessus de ses paupières qu'il gardait souvent mi-closes. Aquarelle était un peu rassurée de le savoir entre l'alezan renfrogné et elle, mais elle se sentait surtout coupable. Elle savait que son cavalier l'avait placée là pour éviter qu'il ne se défasse du lasso qui le retenait captif. Et elle savait mieux encore qu'elle ne pouvait rien faire pour l'aider à se libérer.

« Félicitations. Pour le poulain. »

Aquarelle eut un petit sursaut lorsqu'il rompit le silence. Il s'était doucement rapproché d'elle, creusant l'écart avec l'alezan. Celui-ci ronfla légèrement des naseaux, comme pour leur signifier que les bavardages l'importunaient.

« Me... Merci. » bégaya la jument dans un murmure.

A la pensée de son petit ange de chair, elle eut un léger sourire. Il n'était pas même né, mais il lui donnait déjà la force de se battre, de lutter. Il lui insufflait un courage qu'elle n'avait pas.

« Je m'appelle Idem. Du troupeau d'A... »

Son chuchotement s'éteignit brusquement. Avec un soupir résigné, il reprit :

« Du moins, j'appartenais au troupeau. »

La petite palomino détourna le regard, coupable. Elle ne se serait probablement pas sentie plus mal si elle l'avait elle-même ôté à sa liberté.

« Je suis désolée...
— Il ne faut pas. Je n'aurais pas dû m'éloigner du troupeau, je savais que c'était dangereux. Qui es-tu ? »

Il parlait avec un sourire, mais sa voix était triste. Aquarelle fut soulagée qu'il change de sujet, et espéra que cela lui changerait les idées.

« Aquarelle. Mon cavalier est un voyageur. »

(c) PF

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