« Crying never saved anyone. »

Crying never saved anyone

You roll the dice but never knock down the cards, you play with fire and deadly weapons but it only kills your heart. You can boo the heavens, but can't you see that your feet are already burning with the flames of the nearby hell ?

Anoki regardait le soleil disparaître à l'horizon. Le disque lumineux plongeait le ciel dans un crépuscule écarlate. Il se reflétait dans les prunelles du kerry bog, agressait de son éclat les orbes fragiles qui se refusaient à ciller. Si seulement sa lumière avait pu rester prisonnière de ses yeux, glisser sous ses paupières, se répandre jusqu'au creux de son cœur si obscur ! Et s'il avait pu le brûler pour le réduire en cendres, cela n'aurait guère dérangé Anoki.
Il ne serait jamais parfait. Il n'avait jamais été parfait, ne s'en était même jamais approché. C'était une idée à laquelle il avait toujours concédé. Mais il n'avait jamais crû être si misérable, si égoïste, si futile. Comment osait-il encore se tenir là, alors qu'il était incapable de protéger qui que ce soit ? Il se haïssait. Il aurait tant voulu partir, s'enfuir loin. Peut-être pour fouiller chaque recoins de ce monde, et de tous les autres mondes, pour y retrouver ceux qu'on lui avait enlevé. Mais il en était incapable. Il ne pouvait pas abandonner Bidziil, il ne pouvait pas. Même si Winona prenait soin de lui, comment aurait-il pu les laisser derrière ? Il admirait le courage de la jeune femme. Elle essayait autant que possible de garder les épaules droites, pour soutenir son père fragilisé. C'était comme si elle aurait pu porter la tribu entière sur son dos. Bidziil avait des enfants remarquables.
Son aîné, Hoka Iyotake, était parti sur les traces des disparus. Depuis trois jours déjà, il avait quitté le camp avec sa monture et un petit groupe de guerriers et arpentait le Cimarron. Chaque soir, l'un de ses compagnons revenait au campement pour annoncer les nouvelles et assurer à tous qu'ils étaient toujours en vie. Hoka Iyotake avait promis à son père qu'il reviendrait lorsqu'il ne resterait plus avec lui qu'un seul des guerriers. Mais Bidziil craignait qu'il ne cherche à continuer ses recherches ; son fils aîné avait toujours témoigné d'un acharnement à la tâche qui l'inquiétait parfois un peu.
Ses deux autres fils, Perched Owl et Jolan, veillaient sur le campement. Ils tentaient de contenir les tensions qui enflaient, et accompagnaient ceux qui devaient parfois s'éloigner. Le chaman notamment, qui avait sans cesse besoin de nouvelles plantes pour prier les Esprits.
Winona, elle, restait auprès de son père. Il semblait si vieux et fragile, tout à coup ! Tous savaient que bientôt, Hoka Iyotake prendrait sa place. Bidziil avait voué sa vie, une longue vie, à sa tribu ; à présent, il était fatigué et usé par toutes ces années. La vieillesse qu'il avait si longtemps gardé à l'écart le rattrapait.
Anoki espérait que ses propres enfants, où qu'ils se trouvent, soient aussi remarquables. Qu'ils soient forts là où lui était faible. Qu'ils soient braves là où lui était lâche. Qu'ils soient généreux là où lui était égoïste. Qu'ils soient bons et lumineux, là où lui était mauvais et obscur.

(c) PF

Crying never saved anyone

You roll the dice but never knock down the cards, you play with fire and deadly weapons but it only kills your heart. You can boo the heavens, but can't you see that your feet are already burning with the flames of the nearby hell ?

Le soleil avait laissé place à une lueur orangée. Anoki laissa le poids de sa tête entraîner son encolure vers ses sabots. Il était toujours là, toujours glacé jusqu'au fond des entrailles.
Les marmonnements indistincts dans son dos lui firent tourner la tête. Il aperçut entre les mèches de son toupet, qu'il ne prenait même plus la peine de repousser, deux des chevaux de la tribu qui l'observaient. Ses oreilles se rabattirent vers l'arrière lorsqu'il croisa les regards froids et méfiants qu'ils lui adressaient. Avec un ronflement de naseaux, il se détourna. Autrefois, il avait été aimé. Il avait été celui sur lequel ses camarades pouvaient compter, celui sur qui ils s'appuyaient en cas de besoin. Mais à présent, ils marmonnaient sur son passage. Bien sûr, tous ne s'étaient pas détournés. Ozalee restait fidèle à elle-même, toujours vaillante et pétillante malgré les sombres jours, petit rayon de soleil dans le campement. Sans doute tenait-elle cela de sa mère. Weather Boy l'accompagnait de ses pitreries, comme si rien ne pouvait entacher leur amour de la vie. L'affection que lui démontraient Eyrún et sa fille Ieska lui réchauffait un peu le coeur, tout comme l'acharnement que mettait Enakiye à le défendre face à tous ceux qui lâchaient des commentaires en sa présence. Il aimait profondément la famille que lui avait offert la tribu. Mais il voulait seulement partir, encore une fois, comme lorsqu'il avait abandonné ses poulains et tous ceux qui comptaient pour lui. Il luttait désespérément pour ne pas succomber. Il ne voulait pas, pas encore. Mais comment résister ?

Il avait terriblement peur. Peur de voir ceux qui restaient disparaître. Peur de revivre encore la même douleur. Il se devait de se protéger. Il ne pourrait pas supporter de perdre une seconde fois la famille dont il s'était entouré.
Mais sa famille avait explosé. Sa famille était en train de s'effondrer. A chaque instant, il craignait de ne la voir partir en fumée. Chaque jour, il craignait de ne se réveiller et de découvrir qu'un autre n'était plus là, sans qu'il ne puisse savoir s'il était encore en vie quelque part, s'il était blessé. Il avait cru qu'en faisant venir Roses parmi la Tribu, il la protégerait. Il avait cru pouvoir veiller sur elle, veiller sur Hypérion. Mais celui qu'il considérait comme son fils ne grandirait jamais à ses côtés. Il aurait voulu espérer, croire qu'ils allaient revenir, bien en vie, le lendemain, ou peut-être le jour d'après. Mais il n'avait plus la force d'espérer. Son être se faisait violence. Ne pas se lancer à leur suite, ne pas faire l'impossible pour les retrouver, ça le tuait. Mais quelle chance y avait-il qu'il les retrouve jamais ? Quelle chance y avait-il qu'il n'ai pas à affronter la vision de leurs deux corps sans vie ? Voilà pourquoi il était devenu cet autre sur lequel on marmonnait. Il n'était plus le grand Anoki, le père, le frère, l'ami, le protecteur de la Tribu. Celui qui souriait, celui qui avait toujours une parole douce à adresser aux siens. Celui sur qui ils pouvaient compter. Il s'était renfermé, aspirait à la solitude, repoussait quiconque essayait de le sortir de son mutisme. Il n'était qu'une ombre déprimée, ressassant sans cesse ses erreurs passées, se morfondant sans même essayer de se racheter. Il avait bien trop peur de laisser quiconque approcher son cœur, parce que, s'ils venaient à disparaître à leur tour, qu'adviendrait-il de lui ?
Il n'avait pas changé. Il avait toujours été cet animal égoïste, ruminant ses blessures. S'ils avaient prêté un peu plus attention à lui, ils l'auraient vu. Il avait toujours subi leurs peines, affronté leurs problèmes à leurs côtés, et ils ne l'avaient jamais considéré. Comment aurait-il pu être autrement qu'en colère ?

(c) PF

Crying never saved anyone

You roll the dice but never knock down the cards, you play with fire and deadly weapons but it only kills your heart. You can boo the heavens, but can't you see that your feet are already burning with the flames of the nearby hell ?

Peut-être que s'il s'enfuyait... S'il partait au galop, là, tout de suite, et qu'il continuait jusqu'à ce que ses membres ne puissent plus le porter... Peut-être pourrait-il échapper à tout cela ? Après tout, était-il plus douloureux d'abandonner et de fuir lâchement que de voir tous ceux qui nous sont chers tomber un à un ? Mais que ferait-il, ensuite ? Recommencerait-il tout encore une fois, ce cycle infernal ? Il trouverait une nouvelle famille. Il bâtirait une nouvelle maison. Et puis, lorsqu'il se sentirait enfin à sa place, lorsqu'il penserait avoir réussi à laisser derrière lui son passé... L'édifice s'écroulerait. Pierre par pierre, il exploserait. Et il s'enfuirait à nouveau. Cela devait-il durer jusqu'à la fin ? Jusqu'à ce qu'il en crève ? Il voulait crever, là, tout de suite. Pour mettre fin à tout ça. Pour se réveiller et réaliser que la vie n'était qu'un mauvais rêve. Un rêve, qui, parfois, avait des arômes d'absolu...
Il ne voulait pas abandonner sa famille. Il avait inconsciemment toujours gardé une certaine distance vis-à-vis de ses poulains et de leurs mères, parce que la plaie laissée par sa famille précédente n'avait jamais cicatrisé. Mais il avait succombé à l'appel qui lui hurlait de laisser quelqu'un glisser près de son cœur. Il avait bêtement accepté que Roses devienne plus proche, plus indispensable que ne lui dictait sa raison. Il avait bêtement espéré qu'elle et Hypérion seraient éternels. Il en payait le prix à présent. En serait-il de même pour Bidziil ? Pour Winona ? Son cœur se serra un peu plus lorsque son esprit vogua vers le mâle alezan dont il tentait de repousser le souvenir, et vers la robe d'argent de Stardust. Il leur avait fait une place dans son cœur, une place si grande qu'il lui semblait parfois qu'il ne battait plus que pour eux. C'était là sa pire erreur.

(c) PF

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