Un cheval vaincu n’est pas convaincu.

Neloe avait monté un camp semi sédentaire. La jument rouge n'avait pas l'habitude de le voir planter ainsi un campement qui devrait durer quelque temps, aussi elle avait passé une bonne partie de ses journées à le voir monter le tout - non sans difficultés de sa part.
Pour lui aussi, la solitude, l'errance seule, c'était nouveau. C'était la première fois qu'il le faisait depuis leur départ, et donc sa première fois tout court à monter seul un camp semi fixe. Elle s'était bien amusée de le voir lorsque les piquets s'écroulaient sur eux-mêmes, puis après beaucoup d'efforts, la construction s'était terminée.
Une fois la routine bien établie et Asrae complètement habituée à l'océan et son écume, elle avait commencé à reprendre son vagabondage dans les creux de l'emploi du temps de son humain, quand il n'avait pas besoin d'elle pendant quelques heures consécutives.

Ce jour là, elle était repartie en direction des Pics Rocheux.
Porteuse uniquement de son licol, crinière au vent, elle galopait en avec l'ivresse au cœur.
C'est alors qu'elle crut apercevoir un groupe de silhouettes au loin.
Des soldats ?
Sans savoir à quoi s'attendre venant d'eux, elle s'approcha avec prudence.

© wild bird

Il y avait trois soldats à cheval qui entourait un étalon couleur jais à la robe constellée de tâches blanches... Mais, la jument rouge l'avait déjà rencontré ! C'était l'étalon qu'elle avait croisé sur la plage, avec la jument qui se rebellait contre les nomades.
Elle se méfiait des soldats. Ils pouvaient croire qu'elle s'était enfuie et vouloir la capturer.
Elle hésita quelques instants... fuir ou rester ?
Puis Asrae se décida. S'ils montraient des signes comme quoi ils voulaient l'entraver, elle partirait au grand galop jusqu'à son humain. Elle avança, toujours avec précaution, pour saluer ses quatre congénères et l'étalon qui la fixait.

© wild bird

Tous la fixait, en fait.
Elle commençait à regretter son choix quand l'un des soldats brisa l'immobilité qui les maintenaient figés. Doucement, très doucement - pour ne pas la faire fuir - il abaissa sa main vers un lasso qui pendait à sa selle. Il commençait à s'en saisir que l'aubère, dans une brusque pirouette sur ses postérieurs, faisait demi-tour et s'enfuyait.
Elle entendit un juron résonner derrière elle, le bruit sec d'une corde qui change de main - sans doute une de celles qui retenait le cheval encadré -, le cliquetis des éperons, puis le roulement de sabots qui tonnaient sur le sol, derrière elle.
Tourner la tête pour regarder aurait pu lui faire perdre du temps, mais elle pouvait supposer, sans trop se tromper, qu'un des soldats avait quitté les autres pour se lancer à sa poursuite.
Mais qu'elle avait été bête !
Ce n'était pas parce que le premier soldat qui cherchait à la capturer montait un cheval sympathisant que ce serait le cas pour tout les suivants.
Pourquoi diable s'était-elle même approcher ?
Peut-être que la jument rouge, mise en confiance par sa précédente rencontre avec un habitant du Fort, n'avait pas fait preuve d'autant de prudence qu'il aurait fallu, intriguée qu'elle était par ce cheval bizarre qui s'était montré si haineux envers elle, simplement parce qu'elle portait un humain.
Et ce jour là, la chance semblait l'avoir abandonnée.
Maintenant elle le savait d'expérience, la plupart des chevaux étaient plus rapide qu'elle - le point fort d'Asrae, c'était l'endurance.
Comme une résonance douloureuse avec ce souvenir pas si ancien, elle tira sur ses jambes pour tenter, tout de même, de semer ce soldat.

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La corde qui passe au dessus de sa tête. Une sensation brutale de brûlure. Elle suffoque. Comme pendue par le lasso tendu entre son cou et la selle de l'autre cheval, elle se rends sans hésiter et cède à la tension, retrouvant un peu d'air. Elle connaît la manœuvre, pour avoir déjà été à la place du cheval de capture. Elle n'avait pas la moindre chance, et n'en a encore moins désormais, avec la corde autour du cou.
Le soldat parait un peu surpris. Comme pour la tester, il demande à sa monture de pivoter, retendant la corde. Asrae, toujours sans hésiter, cède à la pression et suit le mouvement. Avec une moue satisfaite, le soldat part au petit trot rejoindre le groupe, à une bonne distance de là. Le cheval lui jette un regard curieux:
"Tiens, vous avez l'air de connaître ça ?"
"Oh oui, j'appartiens à un humain", répondit-elle, sans rancune - sachant parfaitement que, les rôles inversés, elle aurait fait la même chose.
"Enfuie ?", il reprends.
"Pas vraiment. C'est compliqué."
Puis ils arrivèrent à hauteur du groupe, et désormais Asrae se retrouvait flanc à flanc au cheval à la robe étoilé, tandis que tous repartait, en direction du Fort elle supposait.
"Est-ce qu'on se connait ?", demanda t-elle distraitement.
Ses pensées étaient tournées vers le Fort. Bon sang, comment elle allait bien pouvoir faire pour quitter cette prison ? Mais ces mêmes pensées, ivres de retrouver Neloe et la liberté, ne pouvait s'empêcher de se tourner vers l'étalon gris, qu'elle avait déjà croisé deux fois auparavant. Wolf's Song. Qui était un soldat. Qu'elle reverrait, au Fort.
Mais bon sang, ce n'était pas le moment d'être gnan-gnan. Elle devait se concentrer sur un moyen de s'échapper.

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L'étalon sombre ne répond pas, mais, au vu de son air épuisé, l'aubère ne lui en tint pas rigueur. La corde se tendit brusquement, et elle sursauta, surprise par l’accélération des soldats, les suivant avec un temps de retard. La jument rouge coula un regard inquiet vers l'autre cheval, se demanda s'il arriverait à suivre avec sa fatigue manifeste.
Ils galopèrent pendant un moment dans un silence général, puis un des chevaux de capture lança une blague, et les quatre commencèrent à rigoler entre eux.
Asrae n'avait pas la moindre idée de la distance qui les séparaient du Fort, et elle poussa un soupir. Elle s'occupa pendant quelques foulées avec des changements de pied en l'air, puis se lassa de ça aussi.
Elle avait... presque hâte d'arriver, que tout cet ennui improductif s'achève.
Et puis, elle ne pouvait empêcher la peur de grimper insidieusement au fond de ses pensées. Et si elle ne réussissait jamais à s'enfuir ? Et si elle restait à vie coincée au Fort ?
C'était donc d'un œil mi espérant mi inquiet qu'elle surveillait l'horizon et l'apparition d'une silhouette.

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Et alors, le Fort, minuscule silhouette, surgit à l'horizon. C'est le moment que choisit son co-détenu pour demander:
"Ça va ? C'était complètement stupide de t'approcher."
Malgré sa peur, elle ne put s'empêcher de répondre avec sarcasme:
"Merci Sherlock. Je m'en étais pas rendue compte, tiens."
Elle s'ébroue, pour essayer de se débarrasser de sa peur, puis reprend, sur un ton dépourvu de la moindre trace d'ironie, cette fois:
"Oui, ça va. Merci."
Le Fort se rapproche, puis ils marquent une pause à l'ombre de la porte. Le changement de température la fait frissonner. Et elle sent que le frisson n'était pas uniquement dû au froid. Elle jette un regard à l'étalon inconnu, pour voir sa réaction devant le bastion des soldats.

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La jument rouge ne peut retenir léger mouvement d'agacement à la réponse face à son sarcasme. Est-ce que le sens de la dérision lui parle ?

Mais l'agacement ne dura pas, pas avec en challenger la haute porte du Fort qui leur fait de l'ombre. Elle se figea, et le soldat du tirer sur le lasso pour la faire avancer. Elle s’exécuta avec un ronflement de peur, et l'étoilé à ses côtés se colla à elle, puis souffla:

"Le fort te fais peur princesse ?"

La chaleur d'un corps à ses côtés, même celui d'un inconnu, la rassura, et elle ne protesta pas face à ses paroles qui lui donnait l'impression d'être faible, et face à son soutien.

"Fais comme moi.", il ajouta.

Et les portes s'ouvrirent.

Le Fort était un grand espace ouvert, entouré de barricades. Appuyées à celles-ci se trouvaient de grands boxes communs, et au centre, une carrière clôturée.

Elle était déjà venue ici. Mais c'était différent: auparavant, elle était entourée de toute la troupe des nomades, alors qu'en cette situation, elle se retrouvait complètement seule - Neloe ne savait même pas où elle se trouvait.

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A leur entrée dans le Fort, les soldats lâchèrent l'étalon à la robe sombre, et Asrae le suivit d'un regard un peu ahuri, sursautant quand les portes claquèrent derrière elle.
Les hommes mirent pied à terre, puis l'entraînèrent à l'autre bout du camp. Alors, pendant un instant, la peur la paralysa, puis elle se reprit et tâcha de la cacher.
Ils allaient vers un bâtiment à l'écart de la carrière, où un homme semblait surveiller le camp d'un regard acéré.
Elle jeta un regard un peu désespéré autour d'elle, à la recherche d'aide, mais l'étalon étoilé avait disparu, et elle ne voyait que des inconnus.
La jument rouge était seule.

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