Piste de sang et de poussière, ft Ivy

Stardust s'ennuyait ferme. Martin s'était assis sur un tronc d'arbre, il y a de ça plusieurs bonnes minutes, et ne paraissait pas vouloir repartir pour une effrénée cavalcade. Il ne semblait pas se rendre compte qu'il pleuvait des cordes, et que le ciel risquait de leur offrir de bonnes petites surprises, comme un bel orage. Le colonel, qui n'avait pas arrêté de bougonner depuis leur départ du fort gardait le visage fermé, et débitait des insultes à qui veut l'entendre. Le pommelé n'était à vrai dire pas vraiment intéressé par les mots d'oiseaux qu'enchaînait à toute vitesse le bleu, et ne songeait qu'à découvrir cette mystérieuse forêt. Malgré la pluie, elle était plutôt chaleureuse, avec sa verdure et la population animale qui y vivait. Mais il était prisonnier de la main de fer de son cavalier, qui ne lâchait pas les rênes. Quoique … Alors que l'autre arracha négligemment un tissu invisible de sa veste trempée, il prit le galop, insensible à ses appels. Qu'il aille au diable, lui et sa mauvaise humeur ! Il reviendrait quand il se serait calmé !

  Le gris ralentit une fois hors d'atteinte de la colère du soldat. Il repassa au trot, guilleret, et observait tout. Ce n'était pas la même forêt qu'il avait visité avec la petite Rey, mais il aurait pu s'y méprendre. C'était à la période des neiges qu'ils s'étaient rencontré, et il aurait voulu la revoir. Elle avait dû bien grandir, depuis le temps ! Se souvenait-elle de lui ? Il l'espérait franchement. Mais, le sortant de ses pensées, la silhouette blanchâtre d'une jument apparut dans sa ligne de vue. Intrigué, il la suivit de loin, se demandant ce qu'elle pouvait bien suivre ainsi. On aurait dit un coyote en train de pourchasser un lapin. Même de cette distance, il pouvait voir son ventre ballotant à chacune de ses foulées. Elle était donc en gestation. Les sauvages n'étaient pas en forme à ce point, à la sortie de l'hiver. Aussitôt, son esprit protecteur prit le dessus, et il accéléra doucement.

  L'inconnue s'arrêta, à l'entrée d'une antre. Son pouls s'emballa. Elle était donc inconsciente d'aller affronter un animal, quel qu'il soit, qui pouvait être dangereux ! Il la rejoint silencieusement, et ce n'était pas trop compliqué, vu le boucan que faisait l'eau qui tombait ! Et là, il fit presque un bond. Juste au dessus de la ponette se trouvait un cougar, qui s'apprêtait à bondir. Il ne pouvait pas laisser le prédateur la bouffer, juste devant ses yeux ! Oh, on pouvait le trouver téméraire, ou altruiste, mais il ne pouvait pas imaginer voir l'innocente victime mourir sous ses yeux !

 Le félin se leva, de sa force tranquille, et ce fut le signal. Il prit le triple galop, ses sabots éclaboussant furieusement les flaques. Ses iris bleutées brillaient d'une lueur farouche, alors qu'il bouscula la blanche, qui s'avérait être pie. Et c'est à ce moment-là que le cougar bondit dans le vide, et atterrit sur l'étalon. Ses griffes acérées s'enfoncèrent sur sa selle, pour la plupart, mais sa croupe prit cher. Le sang perla, et sa peau se lacéra, formant dans plaies qui s'avérèrent très douloureuses. Sautant comme un diable, Stardust tentait de se débarrasser de l'animal, qui pesait lourd sur son dos. Par chance, le filet s'arracha, et il n'en fut pas prisonnier, coinçant ses membres dans le cuir. Après une bonne minute de lutte acharnée, et de hennissements de douleur, il réussit à se libérer de la violente étreinte. Le félin disparut rapidement, après avoir feulé mainte et mainte fois.

  Ereinté, épuisé, fatigué, il baissa l'encolure, et reprit son souffle, les membres tremblotants. Le cœur battant à tout rompre et le souffle court, il tentait de se remettre de son combat. Malgré tout, malgré ses blessures et sa selle en vrac, il était fier de lui. Le liquide à l'odeur métallique et le cuir de ses rênes, sans oublier des bouts de selle, se mélangeaient aux feuilles, aux brindilles et à la terre, sur le sol. Ses prunelles de jais fixèrent la petite, et il parvint, après un certain temps de récupération, à plaisanter :
"Ce n'est peut-être par la plus merveilleuse des rencontres, mais enchanté !"

      Il parvenait à grand peine à se remettre de son combat. Son sang pulsait dans ses veines, et ses vaisseaux peinaient même à ne pas éclater, à tel point que cela lui faisait mal. Ses membres pourtant robustes tremblotaient légèrement, tant il manquait de souffle. Sa croupe le brûlait, les coups du cougar ayant été plutôt violents. Le prédateur s'en était donné à cœur joie, et le contact avec l'eau était douloureux plus encore. La météo s'était liguée contre lui, elle aussi. Mais il était fier de ce qu'il venait d'accomplir. Beaucoup d'égoïstes auraient laissé la ponette mourir, parce qu’elle n’était qu’une inconnue. Mais dans son coeur, tous étaient égaux, et il lui aurait été impossible d’être impassible à un sanglant spectacle.

   Stardust lança un regard intrigué à la pie, qui parut apprécier sa remarque. Elle ria doucement. Son flanc immense cachait presque l’entrée de la tanière du félin. Elle devrait bientôt mettre bas, et il priait pour que le poulain attende encore un peu. Il ne supporterait pas la voir souffrir alors qu’il venait de la sauver d’une mort presque certaine. A moins qu’il ne soit son ange gardien, et que leurs chemins s’étaient croisés, non pas par pure coïncidence, mais parce que l’esprit d’un étalon bien connu de tous, Spirit, les avait poussés à se rencontrer. Longtemps on lui avait rabâché les mésaventures de celui à la robe dorée et à la crinière de jais. Il s’était plu à l’imaginer, veillant sur eux comme un père avec ses enfants. Cette légende avait quelque chose de rassurant, comme si son destin n’avait d'autre choix que d’être accompli.
"Sans doute que non. Enchantée aussi."

   Il hocha la tête, et attendit un remerciement. Ou au moins une présentation. Mais elle ne semblait pas se soucier de son expression un peu outrée, et s’ébroua. Quelques gouttes tombèrent de son corps trempé, mais une nouvelle trombe d’eau lui atterrit dessus. S’il avait été un enfant, il se serait écrié “bien fait !” mais lui non plus n’était pas dans une très bonne posture. Le gris décida donc de ne pas tenir compte du manque de gratitude, et de passer outre sans en parler. Il aurait été bien ridicule de se battre pour quelqu’un qu’on détesterait finalement. Tant pis. C’était peut-être sa gestation bien avancée qui la mettait dans cet état. A l’état d'insouciante qui se lançait à la poursuite d’un cougar seule en temps de tempête. Parce qu’elle n’était sûrement pas arrivée ici par hasard, devant une grotte. Devant l’antre d’un dangereux animal.
“Stardust, monture du colonel des soldats. A qui ai-je bien pu sauver la vie ?”

   Il se secoua, agacé par la pluie, qui ne cessait pas. Au loin, le tonnerre grondait, et quelques éclairs illuminèrent le ciel noir. Cela n’était pas prêt de s’arrêter. Ses iris bleutées parcoururent la forêt du regard, et il s’avança prudemment vers la tanière. Elle était bien assez grande pour qu’ils y rentrent, mais il craignait que des petits, ou même la compagne du félin soient restés. Il fit un rapide détaillé des lieux, et s’engagea, au qui-vive. Personne n’était là. Il sourit, et ses muscles se décontractèrent, même s’il restait toujours aux aguets. Il proposa donc à la ponette de le rejoindre :
“Il n’y a pas personne, vous pouvez entrer, si vous voulez !”

Ils devraient être tranquilles pour un moment. Même si l’air était chargé d’une lourde humidité, ils restaient néanmoins bien mieux placés que sous une pluie battante qui vous transperçait les os. Le gris observa la tanière d’un œil attentif, cherchant la moindre fourrure ou des petits yeux ambrés indiquant la présence de bébés cougars. Leur mère risquerait de revenir, et leur tranquillité serait bafouée.

« Oh oui, merci beaucoup d’ailleurs ! Tu nous as sauvé la vie », le remercia-t-elle, et le geste lui fit plaisir. Elle avait l’air un peu perturbée, dans un autre monde, mais il mit son absence psychologique sous le choc. Puis, la ponette se jeta réellement dans la grotte, telle une furie immaculée et marron. Stardust lâcha un petit sourire, et recula alors qu’elle s’ébroua, projetant grand nombre de gouttes d’eau sur les froides parois. Son ventre énormissime ballotait, se balançant de droite à gauche. Il était tombé sur un sacré phénomène ! Les coups du félin étaient vite oubliés, il se consacrait totalement à sa nouvelle rencontre.  

Il se demandait bien d’où elle venait. Peut-être vivait-elle dans cette harde avec qui vivait Luna ? Lui vint à l’idée que la blanche aurait trouvé cette pie fort étrange, et ce n’était pas bien complexe de la trouver bizarre. Elle avait un visage enfantin, des yeux rieurs et une taille qui ne l’aidait pas à paraître mature, et pourtant elle était en gestation. Impossible de lui donner un âge. Elle ne devait pas être bien vieille, pas elle. Elle éclatait la jeunesse, presque. Il secoua la tête, se disant qu’après tout, le nombre de printemps qu’on avait vu ne nous qualifiait pas pour autant. Les plus vieux pouvaient être les plus gais et forts physiquement, tandis que les poulains avaient le droit d’être blasés. Décidant de discuter de tout et de rien, il l’interrogea :
« Félicitations pour votre poulain. C’est pour bientôt, je suppose ? »

Il espérait qu’elle était bien entourée. Un évènement ainsi ne devait pas se prendre à la légère. Qu’elle ait un compagnon et des amis pour l’aider en cas de difficulté était indispensable. Lui-même ne se voyait pas lâcher sa compagne juste après l’acte. Il l’accompagnerait jusqu’au bout, pour qu’elle se sente bien et que le nouveau-né ne voit pas la vie comme un obstacle insurmontable. Mais comme une fort sympathique aventure.