I' got your back ! Ft Blackhole

  La journée était magnifique, et pourtant Blackhole broyait du noir. Ce n'étaient pas tant les piques de Eshervell qui lui faisait peur, avec sa robe toute cicatrisée et sa crinière inexistante, ou même les regards moqueurs des autres parce qu'il n'avait pas d'amis qui le contrariait. Cela lui passait au dessus. Ils ne l'aimaient pas, voilà tout. Et s'il avait essayé de sympathiser avec certains, ce n'étaient que des éclats de rire qui lui avaient répondu. Non, c'était bien Khyda. Les rumeurs couraient, disant que la jument avait fugué du fort, et qu'un étalon pommelé avait pris sa place. Oui, il l'avait déjà vu aller voir leur chef, ce cheval et son cavalier et il l'avait instantanément détesté. Ce n'était sûrement pas de sa faute si la belle était partie, mais on l'avait remplacée sans chercher à la retrouver. Lui aurait dépensé toute son énergie pour elle. Et peut-être qu'elle faisait partie de ceux qui disparaissaient et dont on ne trouvait pas la trace ? L'idée de ne plus jamais entendre sa voix blasée et de ne plus sentir ses iris glaciales posées sur lui, lui donnait envie de mourir.

  Elle avait été la seule à lui accorder un peu d'importance, à l'aimer d'amitié, sûrement. D'amour, il ne le pensait pas franchement, mais qu'importait. Du moment qu'elle se tienne à ses côtés de temps à autre, il en était heureux. Mais avait elle quitté le Cimarron pour jamais ? Désespéré, il s'appuya contre la barrière de son enclos, et soupira toute la tristesse du monde. Il était de son devoir de la retrouver. Oh, il n'était pas le plus futé de tous, mais rester là, sans rien faire, alors qu'elle courrait peut-être un énorme danger ? Peut-être même l'attendait-elle, rêvant qu'il vienne la sauver, elle qui n'était pas non plus la plus appréciée de tous, dans le fort, d'après les dires ? Il était inutile dans ce campement. Il se devait d'aller se lancer à sa recherche, oui. Oui, il se lancerait à sa recherche, affronterait vents et marées pour la revoir rien qu'une fois. Pour la savoir en sécurité.
 
  Charly débarqua, ses cheveux tombant sur ses yeux pâles. Il ouvrit la porte de l'enclos, et déposa une selle sur la barrière. Il lui passa quelques coups de brosse, et sa robe se mit à briller. Satisfait, l'homme lui enfila juste un licol, et l'emmena dehors, sans que le frison n'y oppose une résistance, trop brisé pour ne rien faire d'autre que d'avancer. Il l'arrêta et l'attacha dehors. Puis s'en alla, et un poney que tout le monde aimait, Iko, lui donna un coup de tête dans l'épaule, en s'exclamant, tout joyeux :
"Yosh, Black' !"

  Ce petit mâle, s'il était sympathique, lui rappelait sans cesse que lui était seul et détesté. Mais il voulait faire le bien, ce brun, et on ne pouvait pas lui enlever le fait qu'il rende tout le monde joyeux. Mais pour le noiraud, l'heure n'était pas à l'enthousiasme, mais à la réflexion. Partir ou rester. Rester ou partir. Cependant, il lui sourit, d'un rictus un peu faux, et lui répondit, sans vraiment le regarder, les yeux dans le vague :
"Salut Iko. Ca va ?"

Blackhole espérait, encore et encore, se réveiller de ce mauvais rêve. Se réveiller et découvrir la silhouette marron clair aux reflets argentés de Khyda. Plonger son regard sombre dans ses prunelles azurées, et se noyer dedans, bercé par sa douce voix mélodieuse. Mais le cauchemar persistait, se prolongeait, et son espoir lancinant diminuait, pour ne plus être qu’un lointain souvenir. Les rumeurs avaient dit vrai, mais il se disait, que peut-être elle était partie le temps d’une longue patrouille. Patrouille durant de longues journées, très peu probable. Mais il s’accrochait, ne voulant pas croire qu’elle avait disparu du Cimarron. La voix fluette du welsh le secoua un peu :
« Oh, comme toujours ! »

Ils avaient été sellés, et commençaient leur promenade au pas. Néanmoins, Iko accélérait déjà l’allure, ses membres se mouvant rapidement, passant au trot. Le noiraud ne prit même pas la peine de ralentir, parce que son cavalier n’en avait pas envie, et celui de l’autre ne paraissait pas s’en être rendu compte. Jamais presque il ne l’avait vu au pas, tranquillement, sans courir. Il était si petit et lui si grand. Une balade ne lui ferait pas de mal, songeait-il en espérant que ses pensées arrêtent de tourner autour de la jument, mais elle était si importante pour lui. Son cœur battait pour elle. Il parcourait sans cesse le paysage des yeux, recherchant ce corps qui lui était presque vital. Mais ce n’était que le néant.

« Et toi ? », l’interrogea le poney, tentant de s’agrandir en levant le plus haut possible son encolure, sans réussir à arriver à sa hauteur. Finalement, après lui avoir jeté un vif et joyeux regard, il revint à sa position de base. Que dire ? Lui avouer comme un idiot qu’il était amoureux d’une soldate qui n’en avait rien à faire de ce pauvre frison stupide que personne n’appréciait ? Qu’il s’était peut-être amouraché de la seule qui faisait attention à lui, qui avait su lui parler, et l’écouter, sans le juger pour autant. Il savait bien qu’on ne l’aimait pas. Lilith, Demi-Lune, Eshervell et Leiter n’étaient pas les seuls qui ne pouvaient pas le saquer. Mais il s’en était contrefiché jusqu’à ce que Khyda disparaisse. La solitude qu’il avait oubliée, noyée dans l’océan de sa vie, revenait flotter à la surface, le narguant à tout rompre. Elle était désormais sa seule compagne.

Et puis finalement. Finalement, est-ce que Iko pourrait le juger ? Lui-même n’était qu’un assemblage de conneries, du toc. Le copain que tout le monde trouvait marrant, mais que personne n'adorait. Blackhole soupira, puis se lança, se disant qu’il n’avait plus rien à perdre. Un ennemi, une moquerie de plus ou de moins, qu’importait :
« Il y a une jument que j’apprécie beaucoup qui a disparu du fort des soldats. Et je ne sais pas comment faire pour la retrouver. »

Il avait bien une idée. Mais elle était juste improbable. Quitter tous les nomades, pour se lancer dans une infinie recherche, parcourant inlassablement les plaines, les forêts et les déserts, jusqu’à trouver une trace d’elle. Il ne croyait pas en lui-même, c’était tout.