« Hey shiny beauty, wanna play with me ? » - Partie 2

Le regard vairon suivait avec attention les arabesques d'un gracieux flocon. La petite tache blanche qu'il représentait, pas plus grosse qu'une aiguille de pin brisée, virevoltait délicatement dans les airs, alors même qu'aucune brise ne semblait rompre l'immobilité des lieux. Le minuscule cristal scintillant vint effleurer le bout du nez de son imposant observateur, et y disparu aussitôt. Penchant la tête avec une curiosité non négligée, les oreilles pointées et frémissantes, celui-ci ne pu résister à l'envie de goûter la matière froide et humide qui venait de se déposer sur le velours de ses lèvres. Un peu déçu de ne sentir aucun arôme, lui qui aurait espéré que ce petit miracle venu du ciel était un présent qui allait au-delà de sa simple beauté, le poulain s'ébroua et reprit son chemin, tout heureux de sentir l'étrange matière blanche craquer sous ses sabots, et y imprimer leur trace comme pour signifier : "Voyez ! Le plus grand, le plus fort des Rois a marché ici !".

Il ne tarda pourtant pas à découvrir de légères marques qui croisaient son chemin. Il les examina avec curiosité, se demandant à quel genre de créature elles pouvaient appartenir ; bien plus petites que ses propres traces, elles étaient séparées en plusieurs parties, et ne s'enfonçaient pas autant dans la poudreuse. Et dans l'air flottait un parfum étrange qui lui était inconnu, un parfum chaud comme celui d'un cheval, mais plus musqué, teinté des senteurs des pins et de la nuit, presque magique. Mû par un sentiment étrange, mélange de curiosité, de désir et d'une sorte de besoin, comme s'il avait un devoir à accomplir, il se mit à les suivre, se questionnant sur l'apparence de leur propriétaire. Mais son attention fut vite détournée par la découverte d'une nouvelle piste. Cette fois, il n'y avait nul doute à avoir ; un cheval, et probablement un jeune au vu de la taille des traces, était passé par là récemment. Une jument, même, à en juger par le fumet qui s'attardait dans les environs. Sans plus se soucier de la créature qu'il pistait jusqu'à présent, il bifurqua et s'élança d'un trot joyeux à la rencontre d'une potentielle camarade de jeu.

Et elle était là, en contrebas. Il s'était laissé guidé dans les derniers mètres par le rire cristallin qu'il avait entendu s'élever brutalement, faisant suite à quelques bruits de neige. Du haut d'une pente abrupte, le jeune Clydesdale eu tout le loisir d'observer la pouliche immaculée.
Elle semblait façonnée de neige, si bien que l'esprit naïf du poulain cru un instant qu'elle était une sorte d'esprit de l'Hiver. Mais son rire, son odeur, sa présence, tout cela était bien trop réel, et ses pensées irrationnelles furent vite chassées.

« Eh, salut ! »

Et, sans attendre la réponse de la pouliche immaculée, il s'élança d'un bond dans la pente et se laissa glisser peu adroitement sur le flanc jusqu'à ses côtés, finissant en roulé-boulé dans un éclat de poudreuse dans l'épaisse congère qui se trouvait en bas, les quatre sabots en l'air.

Le monde immaculé vira brusquement à l'obscurité lorsque sa tête se retrouva ensevelie sous la poudreuse. La confusion fit rapidement place à une angoisse viscérale, tandis que l'idée qu'il était peut-être tombé dans un gouffre enneigé d'où il ne ressortirait jamais s'insinuait dans son esprit. Son cœur se mit à cogner plus fort, l'adrénaline lui fit tourner la tête et il tenta de se débattre contre cette prison glacée dont il ne connaissait pas l'issue. Où était le ciel ? Il ne voyait que la noirceur partout, ne sentait que l'humidité glaciale de la neige. Quelque chose heurta l'un de ses membres. Il frissonna de crainte, incapable d'échapper au moindre danger qui pourrait se profiler alors que ses instincts de proie lui hurlaient de fuir. Et puis, soudain, il y eut du mouvement autour de lui, et l'éclat du soleil l'aveugla.

« Dis, t'aurais pas abusé sur les réserves d'herbe pour l'hiver ? Même si je le voulais, je ne pourrais même pas t'aider à te relever ! »

Le poulain cilla, brusquement tiré de sa confusion. Son regard perplexe accrocha celui d'un ange aussi blanc que le céleste paysage. Le temps qu'il remette de l'ordre dans ses souvenirs et se remémore la façon dont il avait atterri au paradis, la jeune créature lui avait fait l'honneur de gracieusement se vautrer à ses côtés.

« Voilà, le problème est réglé ! s'amusa-t-elle, avant de reprendre d'une voix plus douce. C'est fou, j'avais jamais envisagé les choses sous cet angle ! J'espère au moins que tu sais que tu me dérangeais ? »

Le Clydesdale, qui n'avait guère compris ce qu'elle racontait et se sentait comme quelqu'un qui vient de tomber dans une congère et de paniquer bêtement, avant de reprendre ses esprits affalé sur le dos aux côtés d'une parfaite inconnue, qui plus est blanche à en faire mal aux yeux, la dévisagea d'un air béat. Il fit mentalement le point sur la situation, tenta tant bien que mal de calmer son cœur qui dansait la macarena, et se recomposa une face potablement digne.

« On m'a toujours dit que les anges avaient des ailes. Je suis déçu. » parvint-il finalement à articuler.

Il tenta alors de se relever pour retrouver une position plus confortable, mais avait mal jugé de la proximité de la pouliche nivéenne. En se laissant tomber sur le côté pour pouvoir prendre appui sur le sol craquant, ses membres finirent immanquablement sur celle-ci, et ses efforts pour se tirer de cette situation plutôt cocasse ne firent que l'y empêtrer encore plus lorsqu'ils s'emmêlèrent les sabots.