"Quel est l'intérêt de tout ça ?" - Stardust & Tialmah

Le gris galopait, s’arrêtait, repartait. Des pas de côtés, des changements de pied, ça n’arrêtait pas, le caporal enchaînait les mouvements. Quelques soldats accoudés à la barrière observaient le couple, tout en bavardant. De temps à autre, l’étalon entendait des hennissements qui ressemblaient davantage à des glapissements, qui venaient du paddock à côté de la barrière. Le fils de la rougeaude ne comprenait sûrement rien à ce qui lui arrivait songea-t-il avec compassion. Puis la séance se termina, Hallelujah !  

Stardust fut dessellé, pansé à la va-vite et emmené dans la petite carrière où se trouvait le poulain. La sueur collée à son pelage le dérangeait, et il ne put se retenir de se rouler dès son entrée. Ah quelle joie de sentir le sable se coller à sa peau ! Quel plaisir de ne plus sentir les affreuses démangeaisons sur les parties de son corps qu’il ne pouvait atteindre !

De plus qu’il n’était pas en danger avec le petit. Jamais il ne se serait permis de s’exposer de la sorte avec un adulte inconnu mais le nouveau-né devait être âgé de quelques semaines seulement. D’un mouvement gracieux, il se releva, et ne s’ébroua même pas. Un léger sourire sur le coin des lèvres, il interpella le bai cerise, qui le fixait, dans une mignonne petite posture :
« Bonjour, petit ! »

Il s’approcha d’un pas, tout en restant à une distance raisonnable, pour ne pas l’inquiéter.

    Le petit le détailla de haut en bas, avant d'avancer sans crainte. Cela fit plaisir au gris, qui décrocha un plus grand sourire, par la quiétude du poulain, qui, quelques minutes plus tôt, ne cessait de hennir. Des cris à en fendre un cœur. Malgré sa compréhension envers les bleus, il n'arrivait pas à capter comment faisaient-ils pour séparer une progéniture de sa mère à cet âge aussi jeune ? Le besoin de solitude grandirait au fur et à mesure des semaines, il fallait laisser la nature faire les choses, non ?
"Salut. Tu sort d'où pour être à ce point en sueur ?"

    Sa voix aigue parvint à ses oreilles. Alors comme ça, il ne s'apercevait même pas de ce qui se passait à côté. Son esprit devait être beaucoup plus intéressé par sa maman, la rougeaude aux écuries. Stardust le fixa avec attention, cherchant dans son frêle corps un signe quelconque montrant à coup sûr quels étaient ses parents. Sa robe était bien particulière, avec un petit reflet écarlate. Le résultat était assez joli, original sans trop faire tourner le regard. Et ce regard franc, interrogateur. Il lui plaisait, ce poulain. L'étalon lui répondit de sa voix bienveillante :
"Et bien, de la carrière, juste à côté. Mais on dirait que tu n'as pas beaucoup fait attention aux alentours, n'est ce pas ?"

   Le poulain tardait à répondre, ce qui amusa le gris. On sentait en lui une énergie farouche, et un mental d'acier. Allez savoir pourquoi, mais dans sa façon de se tenir, son ton de voix légèrement agressif, un brin sûr de lui, Stardust se dit que ce gosse aurait de l'avenir. Ses iris bleutées parcoururent le fort, et tombèrent sur les sombres du caporal, qui s'arrêta quelques instants pour regarder sa monture et ce jeune, puis il reprit sa marche, adressant à son destrier un minuscule signe de tête.
"Non... Je pensais à autre chose. De la carrière. Que faisais-tu dans la carrière ?"

     Il n'avait pas répondu totalement ce que l'étalon souhaitait entendre. Il aurait voulu le rassurer, lui dire qu'il allait bientôt retrouver sa mère et sa sœur, mais puisqu'il n'avait pas l'air d'être prêt à entendre ses bienveillantes paroles, tant pis. Soi-disant passant, peut-être en parlera t-il plus tard, quand ses interrogations sur ses exercices dans la carrière se stopperaient. Voilà qui l'intriguait beaucoup.
"Et bien …"

    Le pommelé se stoppa quelques instants, cherchant un vocabulaire précis sans toutefois être trop compliqué pour le bai cerise, qui n'avait absolument rien compris à son fort travail dans le carré de sable. Pour lui, c'était logique.
"Je faisais des exercices pour me muscler, et travailler afin d'être plus endurant à l'extérieur, et plus à l'aise en cas de chemins difficiles."

   Il ne put retenir une petite moue, peu satisfait de ses propos. Avait-il compris ?

"Cela semble peu intelligent. Pourquoi travailler à l'intérieur pour quelque chose qui sera utile à l'extérieur, et ne pas travailler directement dans cet environnement ? Et ensuite, quels sont-ils ces exercices ? Plus de détails."

    Stardust fronça les sourcils. Premièrement, ce petit n'était pas très poli, et ses paroles étaient assez sèches. Ce n'était pas très agréable de parler avec quelqu'un qui n'interrogeait que pour avoir des informations, et de ce ton. Asrae ne l'avait pas vraiment éduqué, enfin, vu l'état dans lequel elle se trouvait, elle n'avait pas pu lui appliquer les premières règles morales. Et ce n'était pas lui qui allait lui apprendre, ce n'était pas son rôle, et pas avec ce petit qui paraissait un brin hautain. Deuxièmement, il venait un peu de le comparer avec un animal débile, qui n'obéissait qu'aux ordres des humains sans se poser de questions. Ce qui était vrai, mais il faisait assez confiance au caporal pour faire les exercices qu'il lui demandait. Ils lui faisaient le plus grand bien, c'était grâce à ces heures de torture parfois que ses muscles étaient développés de la sorte.
"S'il vous plaît."

    Le gris hocha la tête, ses iris bleutées légèrement plus sévères. Mais le poulain ne l'aperçut pas, car il avait fait quelques pas, en observant les environs. Puis il était revenu, et sans laisser au pommelé le temps de répondre, il repartit de plus belle:
"Et, à quoi ressemble l'extérieur ? Pouvez-vous me le décrire. S'il vous plait."

   La politesse mit un peu de temps à revenir, comme précédemment. Il était curieux, après tout, ça pouvait être une qualité, mais un peu plus de tact et de gentillesse ne ferait de mal à personne. Il apprendrait après, mais les jeunes étaient plutôt sensés être doux et soumis. Ce n'était pas le cas de celui-ci, il risquerait de se faire remarquer, mais pas en bien. Ne pas se laisser marcher sur les sabots, c'était bien, mais il ne fallait pas en abuser non plus.
"C'est comme ça. Il y a des choses qu'il vaut mieux apprendre en intérieur d'abord, pour mieux les reproduire après. Et puis, il ne faut pas se rebeller contre les hommes de toute façon, ça n'attire que des ennuis, alors obéir est la meilleure des choses."

  Peut-être qu'il comprendrait cette mise en garde dite assez subtilement. Parce que ce jeunot, l'étalon se doutait qu'il en entendrait parler plus tard. Il préféra d'ailleurs ne pas décrire les terres alentours, celles des indiens ou des troupeaux, parce que cela pourrait inciter le bai cerise à partir plus loin qu'il ne pouvait. Enfin, même si la question ne se poserait pas de sitôt, il était encore jeune.
"Et l'extérieur, c'est un désert. En gros, c'est du sable, à peu près identique à celui qu'on foule en ce moment, avec quelques buissons épars. Et plus loin, il y a des énormes rochers très en hauteur."

"Je ne compte pas obéir aux hommes. Ni me rebeller, d'ailleurs."

    Stardust cligna des yeux trois fois. Chez les soldats, il était compliqué de faire autrement que d'obéir, ou de se rebeller. Et en général, les rebelles n'avaient d'autre choix que d'obéir. Sinon, les traitements brutaux venaient, et ce n'était pas de la rigolade. Même celui qui se disait trop sauvage finissait par accepter la selle. Mais la détermination de ce petit l'emmènerait loin. Et cela l'amusait, malgré son comportement un peu excessif pour un gosse de son âge.
"C'est vrai. Ça m'arrache la bouche de le reconnaître, mais il est vrai que certaines choses doivent être sue parfaitement en milieu sûr pour pouvoir être reproduite en milieu plus dangereux. Bon, je pige ça. Les rochers en hauteur, de quelle couleur sont-ils ? Et, en hauteur comment ? Plus que les murailles du Fort ? Les buissons, sont-ils nombreux ? Enfin, par bosquets, regroupés, ou à chaque fois solitaires ? Et, beaucoup de feuilles ? De quelles couleurs ? S'il vous plait."
 
    Il n'avait plus qu'à se résoudre à décrire qui l'entourait. Les soldats ne pouvaient-ils pas ouvrir la porte pour qu'il voit de lui-même l'extérieur ? Non, il ne restait qu'un pauvre étalon pommelé qui savait tout de la vie pour faire baver ce jeunot. Il imaginait déjà les étoiles dans ses yeux arrogants. Mais ce n'était qu'un poulain, il était logique qu'il s'interroge sur les faits de la nature, de son existence et de l'ordre des choses. Après tout, il était mignon, malgré ses airs de gros dur qui n'a peur de rien. Alors, il sourit gentiment, et lui répondit :
"Les rochers sont hauts, très hauts. Une chute de ceux-ci peut être mortelle pour un cheval comme pour un poulain. Et ils sont marrons. Pour ce qui est des buissons, ils sont principalement rares, donc peu nombreux. Et ils sont verts avec des feuilles plutôt sèches, elles ne sont pas délicieuses, si tu veux mon avis."

      Il avait bien choisi son vocabulaire, pour faire comprendre au fils d'Asrae que le désert était dangereux, mais pas seulement pour les équidés comme lui. Même le plus robuste d'entre eux avait des chances d'en finir. Et il avait marqué de nombreuses pauses pour qu'il saisisse l'importance de ce qu'il expliquait. Mais il reprit, légèrement sarcastique :
"Tu veux devenir comme ce cheval ? Il était insoumis. Je pense qu'il te vaut mieux devenir sauvage, ou te soumettre, plutôt que de devenir comme lui. C'est la risée du fort"

    Du bout du naseau, il avait désigné Colère du Ciel, n'ayant pas digéré toutes les conneries qu'il avait fait.

Le poulain tourna rapidement la tête, et fixa curieusement Colère. Stardust s'amusa du regard méprisant qu'il lui lançait. Le jeunot lâcha un reniflement blasé, puis planta ses iris ambrées dans les turquoises du soldat, qui s'étonna une fois de plus de la franchise qui y vivait :
"Insoumis ? Se déclarer en guerre ouverte contre les hommes n'est pas une solution. C'est… Cela me paraît un acte idiot."

      Le pommelé hocha la tête, quand il se reprit après une hésitation. Il commençait donc à comprendre les choses. Seulement, il se demandait ce qu'il adviendrait du bai lorsqu'il devra choisir entre la soumission ou … Ou quoi finalement ? Il trouvait idiot le fait d'être insoumis, mais il fallait un minimum se donner aux hommes pour sortir du fort puis profiter de la liberté. Enfin, d'ici là, il avait bien le temps de se rendre compte que tous les bipèdes n'étaient pas si horribles.

    Le gris s'interrogea. Il hésitait à lui avouer qu'ils avaient entretenu une relation, avec le noiraud. Après tout, il n'avait pas à se cacher, et un petit n'avait aucune morale à lui donner. Mais après tout, subir une nouvelle fois ces regards jugeurs, pour quelque chose qui était passé. Pourquoi ? Il n'avait rien demandé, son cœur avait pris une autre destinée, différente de celles que les autres choisissaient. Et surtout, Tialmah l'intriguait, il était intelligent, et il ne voulait pas finir cette relation sympathique qui venait à peine de débuter.
"Est-ce que tu juges les gens à leurs différences, Tialmah ?"

"Leurs différences ? Il me semble que chacun est unique, et a donc ses propres différences, non ? Mais je suppose que vous parlez de ceux qui sortent complètement de la norme."

    Stardust ne soutint pas plus longtemps le regard du poulain. Il se demandait s'il faisait partie de cette catégorie de bizarres assez importants. Ils étaient peut-être même des erreurs de la société. Non, ils étaient juste étranges. Juste. Mais la philosophie de Tialmah le choquait, pour ne pas changer. Il était vraiment particulier ce jeunot, mais bon, lui aussi était étrange. Après tout.
Dans ce cas, je crois que le respect s'impose, parce que ça ne doit pas être facile tous les jours."

     Le pommelé souffla doucement, heureux de la réponse, c'était celle qu'il attendait. Ce petit bout d'étalon était bien plus mûr que certains chevaux du fort, et cela faisait juste plaisir. Sans doute pouvait-il s'appuyer plus sur lui que d'autres, qui se fermaient à toutes les différences. Il lui dirait donc la vérité, puisqu'il avait seulement voulu savoir si le bai ne le regarderait pas avec dédain comme tant d'autres. Il ouvrit la bouche, mais l'autre continua, sur un discours plus léger :
"Sinon, comment vous appelez-vous ? Puisqu'à priori mon nom vous est déjà connu."

   Le gris sourit, et répondit à son tour, tout d'abord à sa question, légèrement narquois :
"Stardust. Tu sais, je suis ici depuis un bout de temps, et je peux même te dire que je savais ton nom dès ta naissance. Même si ta mère n'était pas très en forme, elle a tout de même conservé l'usage de la parole pour nous indiquer vos noms, à toi et à ta sœur, puis il reprit, tout à fait sérieux, tout à coup, Non, la vie n'est pas simple tous les jours. Je le sais. J'ai vécu et je vis encore cette situation. Cet étalon là-bas. Je … L'ai … Aimé."

Le gris s'était vidé de tout enthousiasme dès qu'il se tut. Trop de douloureux souvenirs lui revenaient en tête, autant leurs disputes ridicules que leurs moments de complicité qui l'avaient totalement brisé. Ca avait été la fin d'une belle amitié. Mais il se devait d'arrêter de ressasser ses souvenirs. Il suffisait d'aller de l'avant, et de se contenter de ce que l'on avait. Soit pas mal de choses pour sa part. Tialmah le fixait avec des yeux ronds, et avec doucement l'interrogea :
"Ça s'est mal fini ?"

   Stardust lui donna un coup de naseaux dans l'épaule, lui indiquant qu'il avait passé le cap. Il sourit et secoua la tête, éparpillant quelques grains de poussières, dont certains tombèrent sur le poulain. Ses iris bleues l'observèrent avec attention, ce petit cheval qui n'était pas le plus sage, sûrement pas très docile, mais adorable tout de même. Une boule enfla dans sa gorge, d'émotion, sans doute.
"Un peu. Il m'a lâché sans aucune explication, mais tant pis."

     Il ronfla, et reprit, amusé :
"Si tu cherches une morale dans mon histoire, c'est qu'il faut te méfier de mêmes ceux qui sont le plus proche de toi. Le danger est partout."