Et les rêves interdits...

Blackhole galopait avec difficulté dans la poudreuse. Diable, pourquoi ces stupides gouttes de pluie se transformaient en flocons aussi glacials ? Il voulait plus que tout retourner là où le soleil brillait, là où il suait même sans bouger. Là, il grelottait même en se mouvant à vive allure. C'était d'une horreur. Mais il n'y pouvait rien, et malgré ses supplications, rien ne changeait. Sans doute n'était-il pas assez important. C'était difficile à croire, mais c'était possible. Et là, devant lui, devant son cavalier, se dressa une silhouette bien trop connue. Khyda.

Khyda ? Khyda ! Le visage de l'étalon se fendit d'un immense sourire, tandis qu'il admirait la soldate qui se cabrait furieusement. Elle était seule. Son propriétaire n'était pas là. Elle était seule, plus magnifique encore qu'à leur première rencontre, toujours avec ses merveilleux crins d'argent, sans doute ses iris aussi bleutées et vivaces que la dernière fois. Oh, il mourrait d'envie de la rejoindre à fond, de lui donner des coups de naseaux et de repartir avec elle, et de ne plus la quitter. Mais bien sûr, il préférait rester chez les nomades, les nomades étaient bien gentils, et le blondinet qui était assis sur lui de même. Et il doutait qu'elle veuille le suivre. Malgré leur amour. D'un pas contenu avec difficulté, tous ses muscles voulaient bondir, il s'approcha, et s'arrêta à une bonne distance, puis l'appela :
"Khyda ! Bonjour ! Comment ça va ?"

Vite ! Qu'elle le regarde ! Ses yeux posés sur lui avec son arrogance naturelle lui manquaient tellement !

Et d'un magnifique coup d'encolure, elle dispersa quelques flocons qui s'étaient élégamment posé sur sa magnifique crinière argentée. Blackhole en bavait presque. Mais il restait là, un sourire vissé sur ses lèvres, et les yeux exagérément ouverts la fixaient qui approchait. Et sa voix chargée de puissance brisa le silence :
« Bonjour Blackhole. Je vais bien , et toi ? Que venez-vous faire ici ? »
 
    Rien que d'entendre son prénom sortir de sa bouche était juste incroyable. Elle lui avait manqué, ils s'étaient revus à une vente chez les nomades suite à leur première rencontre dans le désert. Juste deux fois. C'était trop peu, c'était trop peu. Il voulait la voir tous les jours, retrouver son odeur parfumée, ses iris bleutées. Le blondinet sauta à terre et s'éloigna un peu de quelques mètres, puis se stoppa et balaya du regard les environs, tel une statue. Il les laissait seuls, à leurs retrouvailles, sans tenter de capturer la jument du lieutenant. C'était bien ça ? Qu'importe, qu'elle ne soit qu'une indomptée, une monture du fort ou monture du lieutenant, elle restait fidèle à elle-même, extraordinaire. Il l'avait reconnue, et ne souhaitait pas s'approcher d'elle de trop près, vu son caractère impétueux.
 
     Le frison s'avança lui aussi, jusqu'à se retrouver à moins d'un mètre d'elle. Ils étaient seuls au monde, sauf qu'il y avait le bipède, mais vu la neige qui commençait à lui tomber dessus, il risquait de ressembler à un arbre dénudé. Parce que les flocons débutaient une nouvelle tempête. Enfin, tempête, tempête, c'était un bien grand mot. Mais pour le noiraud, ils n'étaient que deux, Khyda, et lui. Il ne sentait plus même le froid qui le glaçait depuis le début de leur balade. Il l'observait dans le fond des yeux, ses iris pâles, et répondit, tout heureux comme un poulain qui découvrait la joies du galop :
"Super ! Oh, je ne sais pas, comme la dernière fois dans le désert. Je ne sais pas grand chose, mais en tout cas, je sais que je suis très heureux de te revoir !"

    Il sourit encore plus, espérant en secret qu'elle lui donne un coup de naseaux sur l'encolure, même sur l'épaule, ou le mieux serait sur la tête. Mais il rêvait sûrement. Pourtant, il le voulait, il lui déclarerait sa flamme, même, s'il l'osait !

  Elle était si belle. C'était une œuvre de la nature. Si plaisante à regarder. Jamais il ne se laissait de la regarder, ses yeux, sa crinière. Blackhole ne savait comment définir ce sentiment si prenant qui lui prenait les tripes, lui retournait l'estomac quand il la voyait. Une des raisons pour laquelle il bafouillait et qu'il ne savait jamais quoi dire tant sa présence muette lui suffisait. Son cavalier ne faisait plus attention à eux, donc la voie était libre pour tenter un rapprochement. Mais elle était si belle … Si belle … Il ne pouvait pas aligner plus de cinq mots sans dire une bêtise.
-Hé bien...Que venais-tu faire ici?

   Le frison cligna les yeux, et lâcha un rire idiot, qui retentit dans ces plaines gelées. Ne l'avait donc-t-elle pas écouté ? Peut-être trop intéressée par lui, par sa crinière brillante, sa robe ébène parfaite, sans imperfection, et ses petits flocons qui tombaient sur lui de plus en plus vite. Pas folichon, la neige, pas folichon. Du moment qu'elle ne fondait pas, c'était parfait. Il était encore plus magnifique qu'avant.
"Je viens de te le dire. Je ne sais pas ! J'ai dû mal m'exprimer, j'm'excuse …"

  Il reprit, quelques secondes plus tard, l'air pétillante et pathétique d'espoir:
"Mais dis-moi, Khyda, tu n'as jamais songé à quitter le fort ? Aller chez les nomades, avec moi, par exemple !"