"Le soleil rouge du désert" ft. Wolf's Song

Asrae secoua sa crinière, agacée par les gigotements de Neloe. Son cavalier ne pouvait-il pas rester tranquille ? Ce n'était pas cela qui allait la faire avancer plus vite: le sol rocheux ne deviendrait pas plus stable juste pour satisfaire son bon plaisir.

La journée avait pourtant bien commencée: de bonne humeur, elle avait accouru à son appel et était restée sage tandis qu'il s'était mis en selle. Après lui avoir donné le signal de départ, ils avaient piqué un bon petit galop, puis son cavalier l'avait dirigé vers les Pics Rocheux et ses sols glissants. Depuis, elle essayait de rester telle qu'elle s'aimait: en vie, et sans membre manquant, merci bien.

Que pouvait bien chercher son humain, par ici ?
Asrae tentait depuis un moment de s'occuper l'esprit en échafaudant des hypothèses de plus en plus loufoques, quand son chemin se retrouva bloqué par un éboulis. Quêtant une demande de l'humain, elle l’interrogea en rabattant ses oreilles vers lui. Pas de doute, lui n'aimait pas la vie autant qu'elle, parce qu'il la pressa des talons, lui ordonnant de continuer sa progression.
Le nez au ras du sol, elle commença alors à tester un à un les appuis de ce tas instable. Elle progressait lentement vers le sommet, tentant de ne pas prêter attention aux mouvements d'impatience de Neloe.
Dressant soudainement la tête, elle agita les oreilles en toutes directions. Était-il possible que... ? Ses sens confirmèrent alors ce qu'elle avait entendu: un claquement de sabots s'approchait, venant d'en face.
Un cheval, ici ?
Qui viendrait volontairement sur ces sols traîtres et sous ce soleil écrasant ?
Elle espérait que ce n'était pas un fou, sinon elle se retrouverait bien entourée entre l'humain sur son dos et le cheval en face.
Poussant un soupir, elle guetta l'apparition d'un cheval derrière le tournant que formait le chemin.

Un cheval sombre - unique détail dont elle pouvait être sûre avec sa vitesse - surgit. Sa selle était vide, étriers et rênes claquaient, pendaient contre son corps. Il ne lui prêtait aucune attention, cette dernière toute entière dirigée dans son dos.
Il va trop vite, eut elle le temps de songer.
Puis son visage se tourna vers elle - grands yeux affolés, fous, marque blanche en tête - et il la remarqua une demie seconde avant de lui rentrer dedans.
Sous le choc de l’impact, Neloe fut éjecté de la selle, elle même en grand déséquilibre au bord du gouffre.
Le cheval - l'étalon, se rendit elle compte - était tombé à genoux. Il se redressa rapidement, puis s’immobilisa, comme sonné.
Elle laissa passer quelques silences, le temps de reprendre ses esprits, puis demanda, inquiète pour lui:
"Est-ce que tout va bien ?"
Son regard se tourna vers là d’où il venait et vers sa selle vide, mais elle ne dit rien. La curiosité attendrait de s’être assuré qu’il allait bien, décida t-elle.

Asrae sentit son agacement monter d'un cran.
Le cheval, surpris par sa question, avait fait une brusque embardée en arrière, s'approchant dangereusement du vide.
Puis il l'avait dévisagée, un air mécontent sur le visage.
Qu'est-ce qu'elle fait ici ? Franchement ? Mais elle se balade pour le plaisir de ce soleil écrasant et de la poussière rouge des Pics ! Que croyait-il qu'elle faisait ici ?
Le dit responsable de sa présence se relevait doucement derrière elle. Il s'épousseta, puis fis lentement le tour de sa monture pour s'approcher de l'autre cheval.
"Oh, oh. Oh, oh. Tout va bien. Du calme."
Neloe ne lui prêtait aucune attention. Bien sûr. Elle n'était qu'un caniche qui revenait au pied au moindre sifflement, après tout.
Elle fut un instant tentée de le laisser se dépatouiller avec l'autre idiot malpoli, puis renonça. Mais la scène restait plaisante à imaginer.
Elle échoua cependant à laisser de côté sa réplique mordante:
"Mais je me balade en espérant tomber sur des idiots d'étalons qui me fonceront dessus, parce que j'ai des envies suicidaires et que j'aimerais bien tomber d'une falaise. Quelle question ! Ça me semblait logique."
Elle haussa un sourcil impérial en direction de l'autre.
Puis détourna le regard.
Peut-être était elle allée trop fort.
Peut-être l'avait elle blessé.
Elle n'aimait pas blesser les autres.
Elle était presque prête à lui donner des excuses. Presque... mais non.
Vraiment, lui rentrer dedans, et ensuite exiger des explications sur sa présence ?
Elle espérer tomber sur d'autres chevaux plus amicaux à l'avenir, parce que celui là ne faisait pas un bon représentant de ses congénères pour sa première rencontre en tant que solitaire.
Quels étaient les intentions de Neloe ? se demanda t-elle soudainement.
Peut-être allait-il juste "calmer" l'autre idiot, puis le laisser et se remettre en selle pour qu'ils repartent ?
Sans doute pas.
Il allait vouloir le reconduire là d'où il venait.
Et d'où venait-il d'ailleurs ?
Bien sûr, il portait une lourde selle et un filet, signes indiscutables de son appartenance à des humains. Mais quels humains ? Indiens, soldats, nomades ?
Ses oreilles se couchèrent rapidement à la pensée de ce dernier peuple, avant de se relever.
Je n'ai plus rien à voir avec eux, se répéta t-elle.
Elle revint au cheval devant elle.
Pas de peintures. Sans doute pas les indiens.
La jument remarqua soudainement la marque US sur son épaule.
Ah. Un soldat. Ou un ancien soldat, songea t-elle.
Elle supposa qu'ils commenceraient par là de toute façon. Au Fort, s'il ne leur appartenait pas, ils sauraient dire à qui il avait été vendu.
Elle soupira intérieurement à l'idée de passer un long trajet avec un individu aussi agréable. A moins qu'il ne s'enfuit devant Neloe ?
Voilà qui lui faciliterait bien la tâche.
Sa réflexion n'ayant pris qu'une minute, elle dressa la tête, observant la réaction de l'étalon face à l'approche de son humain.

L'inconnu envoya ses dents d'un mouvement brusque. Neloe, d'un geste adroit, réussit à éviter la morsure, mais il y laissa un bout de tissu.
Asrae eut un sourire espiègle. Peut-être pourraient-ils se débrouiller tout seuls et la laisser à l'écart ?
Son cavalier marmonna un juron, puis recula doucement.
L'étalon, en face, n'était que tension. Au moindre mouvement suspect, il décamperait.
Asrae, en bonne spectatrice, ne bougeait pas non plus.
Elle demanda finalement:
"Et sinon, toi qu'est-ce que tu fais ici ?
Neloe reculait doucement. Toute son attention était rivée sur le cheval sombre, et elle s'interrogeait sur ses intentions - du moins, jusqu'à ce qu'il bute contre elle et se mette à tâtonner la selle, cherchant manifestement à récupérer le lasso.
Oh, c'est pas vrai, pensa t-elle, résignée, Il va m’entraîner dans une course poursuite derrière l'autre.
Il mit enfin la main sur le lasso, et prépara doucement la corde dans son dos.
Du coin de l'œil, la jument observa ses mains glisser le long du chanvre jusqu'à trouver le bon endroit, puis s'immobiliser.
Alors, dans un geste brusque, il lança le lasso.

Le cheval s'était élancé d'un bond puissant, puis le lasso l'avait brusquement arrêté, ses sabots frôlant la tête de la jument.
Asrae se cabra à demi d'un geste vif.
Elle jeta un regard alarmé vers l'étalon, et se figea brièvement à la vue de ses yeux enflammés de rage.
Elle retombait sur ses sabots quand il s'élançait de nouveau, chargeant Neloe.
"Non !" Avait-elle vraiment crié ?
Elle n'eut pas le temps d'y penser qu'il la bousculait, la fouettant de sa queue.
On ne touche pas à mon humain, pensa t-elle, furieuse, et elle se projeta contre le flanc du cheval sombre.
Ils tombèrent ensemble, les membres enchevêtrés, très près du bord de la falaise, trop près, et Asrae s'immobilisa totalement en prenant conscience de la proximité du gouffre.
Ils étaient tellement emmêlés que le moindre mouvement de l'un jetteraient les deux dans la mort.

Une voix calme, peut-être un peu crispée, la sortit de la torpeur glacée de terreur dans laquelle elle s'était figée.
"Si tu ne veux pas tomber, recule."
Elle se demanda un instant si un troisième cheval s'était ajouté à eux, puis reconnu la voix du cheval sombre, qu'elle n'avait jamais entendu que soupçonneuse ou en colère.
"Mince alors, moi qui m’apprêtait à faire des castagnettes, grommela t-elle assez inaudiblement."
Elle se souleva doucement, en équilibre instable, et commença, tout aussi doucement, à reculer.
Ce fut le moment que choisit Neloe pour agir.
Lâchant un flot interminable de jurons, il s'approcha à pas de loup d'eux, tout aussi conscient du gouffre que les deux chevaux. Attrapant une corde, il la fit passer sous son ventre, puis repasser, puis, d'un coup de pieu, l'arrima à la falaise.
Après une hésitation, il répéta l'opération sur l'étalon, à gestes prudents prêts à s'écarter à la moindre menace des dents pour sa main.
D'abord assez perplexe, Asrae comprit ensuite comment la corde, en cas de chute, les retiendraient et les empêcherait de chuter.
Elle lâcha un doux renaclement approbateur à l'attention de Neloe, puis termina sa manœuvre jusqu'à s'être séparée du cheval gris, là, enfin, elle s'écroula au sol, tremblante de l'énergie et de l'émotion qu'elle avait laissé dans ces gestes.