Anger is like fire in our veins // Flamme

  Elle fulminait. Ses sabots durs envoyaient valser les cailloux, qui osaient se mettre sur le chemin de la pouliche incendiée. Elle tentait de se répéter que ce n'était qu'une question de temps, et pourtant, plus les nuits passaient, moins elle se persuadait que cette Asrae était de passage. Elle avait bien vu son arrivée dans le troupeau, postée un peu plus loin d'Atlas, qu'elle reluquait sans arrêt. Quand irait-il lui reparler à elle, qui avait tué un autre par sa faute, juste parce qu'il envahissait ses pensées ? Il l'avait laissé intégrer leurs rangs, au stade de gardienne, plus élevé qu'elle, qui n'était qu'un poulain. Mais un poulain bien machiavélique, qui, dès qu'elle avait un peu de temps libre, songeait à éliminer cette femelle rouge à la robe bien laide. Malheureusement, plus les scénarios se mélangeaient dans sa tête, moins ils étaient convaincants. Jamais elle ne supporterait devoir lui lancer des sourires mielleux, parce que le Titan n'était pas loin, et qu'elle craignait qu'il comprenne son petit jeu. Il était si intelligent ! Jamais elle ne lui avait parlé pour le moment, et ce n'était pas cette domestique qui réussirait à devenir son amie. Jamais.

   Elle s'était éloignée du troupeau en plein milieu de la nuit, ne supportant plus la silhouette bien désagréable à la vue de cette soldate. La marque au fer rouge la dégoûtait d'un plus haut point. Elle n'avait pas sa place ici. Flamme s'était enfuie, comme une vagabonde, à la recherche de tranquillité. Après avoir traversé des plaines bien monotones, elle s'était lancée dans l'ascension de ces falaises en angle droit. La dangerosité du terrain ne lui faisait pas peur, et elle comptait bien sur ses origines pour la remettre sur le droit chemin, en cas de potentielle chute. Le soleil brillait, et une fine pellicule de sueur parcourait son encolure. Sa crinière rousse semblable à un incendie paraissait accaparer tous les rayons lumineux, et elle se plaisait à croire que l'astre doré s'était levé rien que pour elle. Pour la faire briller plus qu'auparavant. Mais Atlas n'était pas là pour voir l'allégorie du soleil qu'elle était. Il était avec sa chère Asrae.

Son souffle se faisait plus court, alors que la montée était bien raide, et rocailleuse. Les petits rochers déboulaient la pente, valdinguant tels des pathétiques grains de sable dans le désert. Elle était bientôt arrivée au sommet, et ne faiblissait pas, même si ses muscles lui hurlaient d'arrêter. Elle était encore bien jeune, et ne s'était arrêtée que pour boire, dans une jolie petite rivière. La fatigue commençait à se faire ressentir, mais son but était un peu plus haut. Elle se concentra, pour les derniers mètres, et poussa un soupir de contentement, quand elle aperçut le sympathique panorama qui s'offrait à elle. Et à elle seule. Ah bah, non, finalement, ils étaient deux. Ses iris crépusculaires se plissèrent, quand elle découvrit un petit cheval pommelé couché par terre. Elle s'approcha doucement, sans être bien discrète.

  Ses crins courts signalaient son appartenance aux soldats. Comme Asrae ! Même si l'écarlate, qui avait dû choper un coup de soleil, avait laissé repousser sa crinière, ils étaient de la même écurie. Ouh, voilà qui était fichtre intéressant! Elle avait bien fait de ne pas lâcher, et de continuer de montée. Décidant que le cas de la jument arriverait plus tard, parce qu'elle voulait s'amuser  peu, elle s'écria, criant presque dans ses oreilles :
"Alors papi, on fait la sieste ?"

L'autre lui lança un coup d'œil, la reluquant rapidement. Bien évidemment, décidant d'être vue sous son meilleur jour, elle redressa son encolure, bomba son poitrail, et lança un sourire étincelant, bien narquois. Ses yeux dorés rencontrèrent celles de l'autre, qui ne lâchèrent son regard simplement quand il se releva. Finalement, songea-t-elle quand elle l'observait sous toutes les formes à son tour, il ne paraissait pas si vieux que ça. Papi n'avait pas les genoux qui craquaient, et étaient plutôt musclé pour son âge. Elle se demanda jusqu'à quand les chevaux de la cavalerie restaient dans le fort, puis décida qu'elle se fichait royalement. Quelques grains de poussière atterrirent sur sa robe pâle et elle fixa l'individu avec dédain. Il avait osé la salir.

  Le pommelé semblait en pleine possession de ses moyens, nullement paniqué à l'idée de s'être fait espionné. Elle n'avait pas été, il fallait le dire, très discrète. Il était peut-être un peu agacé, mais ne paraissait pas contre une discussion. D'ailleurs, il s'écria, moqueur :
«Mais que fait une pouliche comme toi si loin de ses parents chéris ? »

  La champagne secoua la tête avec colère. Ils étaient tous si agaçants, à croire que les jeunes étaient attachés à leurs parents jusqu'à ce qu'on les sépare brutalement d'eux, à l'âge adulte. D'ailleurs, elle ne se souvenait plus vraiment de la tête de ses géniteurs, ce souvenir flou dans sa tête. Elle n'accordait pas d'importance à l'époque où elle était domestique, avant les indiens. Elle avait évolué depuis, et trouvait son point de départ bien pathétique. Elle n'y pensait même plus. Bien loin étaient ses compagnons de jeu, la famille et le luxueux parc dans lequel ils vivaient.

  Que penserait-il de la chute de Prodige ? Elle serait immédiatement reléguée au rang d'adulte. Les enfants n'envoyaient pas leur ami se tuer tous les jours, c'était certain. D'une voix toujours froide, elle répliqua, avec une once de moquerie :
"J'ai quitté mes parents y'a bien longtemps. Je n'ai plus besoin d'eux, j'ai un troupeau, maintenant. Monsieur s'est échappé de son fort ? Ouh l'audacieux, le téméraire."

   Elle le fixait, tentant de déceler dans ce regard froid d'apparence une illumination à l'évocation de la harde. Et elle se mit à désespérer aussitôt après : ils devaient être des dizaines entre ces quatre murs, et sûrement qu'il ne connaissait Asrae que de vue. Mais on ne savait jamais.