Rire est le meilleur moyen de ne plus avoir peur. ft Flamme

Les vagues léchaient les sabots de Flamme, qui observait attentivement l’infinité d’eau. Dans son âme dure et noire s’était réveillé un esprit enfantin, un esprit qui souhaitait découvrir le monde hors de celui des chevaux qu’elle rencontrait. Oui, il y avait bien eu cette montagne tellement haute qu’atteindre le sommet était presque impossible. Cette montagne qui dominait les terres du Cimarron. Mais la pouliche avait aussi voulu voir les vraies valeurs que la nature leur avait offerte, notamment l’Océan. Alors, elle avait galopé sans relâche, trop intriguée par les discussions de ses congénères sur cette étendue d’eau salée.

Et désormais, elle se tenait droite et fière, dominant tout son petit monde. Elle inspira l’air iodé, avant d’éternuer, ses naseaux n’appréciant pas l’air amer. Puis, ivre de conquête, l’ambre s’avança, jusqu’à sentir le va-et-vient incessant du liquide lui frôler le ventre. Les vaguelettes n’étaient que ridiculement miniatures, et cela la rassurait tout de même. Puis, commençait à ressentir les effets du froid, elle recula, et se prit un rocher. La chute fut désagréable, et l’indienne grommelait encore quand elle sortit de l’océan, trempée jusqu’aux oreilles.

Alors, quand un effluve d’équidé lui parvint, elle roula les yeux, préférant sa solitude, mais l’autre l’avait distingué. Il ne pouvait avoir vu sa presque noyade, un amas de rocher cachant la pire honte de sa vie. Elle observa longuement l’individu en silence, s’approchant doucement, le sable s’accrochant telle une moule à un rocher à ses sabots. Il était immense. Gris foncé et immense. C’était le premier étalon qu’elle voyait de cette taille, et cela l’étonna fortement. Cependant, sa mauvaise humeur prit le dessus, et elle grogna comme pour elle-même, pas certaine qu’il ne l’entende, à cette distance :
« On peut vraiment jamais être seul ? Y’a vraiment aucun jeune dans les parages ? Pas de poulains, pas de yearlings ? »

Elle se rendit compte juste à la fin que son ton avait augmenté.

À son grand étonnement, le gris éclata de rire. Rire qui prouvait qu’on pouvait être un géant et être par la même occasion sympathique. Cependant, Flamme n’appréciait pas qu’on se moque d’elle ainsi, sans se cacher. Elle plaqua ses oreilles en arrière, et fixa avec une attention venimeuse l’autre qui s’approchait. Il sourit, et la salua, en conservant un minimum de distance respectueuse entre les deux :
"Oh bonjour, les jeunes ont de drôles de façons de salué les vieux ancêtres aigri par ces temps-ci."

La pouliche laissa échapper un petit rire suffisant. Alors cet étalon gigantesque se considérait comme un vieillard ? C’était bon à savoir pour la suite. Il pensait vraiment qu’elle le saluerait comme un poulain naïf, qui s’aplatissait et rampait aux sabots des moins jeunes ? Jamais elle ne se plierait aux ordres de quelqu’un, et elle ignora donc sa pique, sans doute dite pour lui tirer un bonjour.

Finalement, elle lui rendit son sourire, avec un étirement des lèvres bien faux, avant de secouer sa crinière orangée, pour en extraire l’eau qui était restée coincée dans ses crins. Quelques gouttes s’échappèrent pour arriver sur le sable, qui les absorba en moins d’une seconde. Ce spectacle intéressa drôlement l’indienne, qui oublia quelques instants le cheval face à elle. Puis, elle redressa l’encolure, et croisa le regard rieur du grand gris. D’une voix empreinte de dédain, elle rétorqua :
« Je ne vois pas l’intérêt de discuter avec des papis, c’est tout. »

L’ambre haussa un sourcil, légèrement moqueuse. Peut-être se départirait-il de sa joie, après cette réplique ?

Le gris sourit encore. Flamme roula des yeux, fatiguée de faire rire les gens, alors que ce n’était pas son but. Sans doute ne comprenait-il pas qu’elle venait de l’insulter de vieillard, d’antiquité, même ? Aussi ancien que les vieilles reliques toutes poussiéreuses qui se trouvaient chez les Indiens, presque. Il devait être d’une intelligence peu élevée, pour s’amuser de si peu. Un retardé mental, peut-être. Il s’esclaffa, avant de rétorquer :
"J'aimerais que tu conserve cette pensé toute ta vie, ça serais tellement hilarant à voire, une vieille qui veux pas parler à des vieux, parce qu’ils sont comme elle !"

La pouliche soupira lentement. Pendant qu’il riait encore. Alors que le son se tut, elle dressa une oreille, et écouta attentivement le clapotement des vaguelettes sur le sable, et les hurlements des mouettes. Cris qui semblaient une fois de plus se moquer d’elle, puisqu’ils apparaissaient comme réponse à une blague. Mais ce joli concert fut de nouveau stoppé par la voix du géant, qui l’interrogea sur la façon à tenir :
"Hé bien dans ce cas, je devrais partir n'est-ce pas ?"

L’ambre réfléchit. Une petite partie d’elle souhaitait qu’il parte, afin qu’elle puisse admirer le paysage à sa juste valeur, sans être interrompue par un immense canasson, qui prenait toute la place. Pourtant, non, elle voulait qu’il reste. Il pouvait s’avérer intéressant s’il daignait arrêter de rire tous les mots, pour une raison incompréhensible. Pouvait-il au moins cacher son immense joie de papoter avec une gamine de son genre ?
« Oh, non, reste, tes blagues sont si … Amusantes ! Ça fait si longtemps que je n’ai rien entendu d’aussi drôle, j’ai des crampes à l’estomac tellement je ris, ça ne se voit pas ? »

Cela dit, elle lui sortit un de ses sourires façonnés à ce que l’on comprenne directement l’ironie dans sa réplique. Rictus, qui de la bouche de ses congénères, l’agaçait et la mettait hors d’elle. Mais quand elle-même se moquait d’eux de la sorte, elle les adorait. Elle avança de quelques pas, avant de se trouver à une distance respectable pour discuter. Pourtant, la jeune ne put s’empêcher de grogner, car elle se voyait maintenant obligée de lever les yeux de manière bien remarquable pour planter son regard enflammé dans celui sympathique de l’étalon.

Etonnant, il rigola encore. Flamme, désormais habituée à ses étranges amusements, ne releva plus. Après tout, ce n’était pas sa faute si c’était un retardé mental. Ça ne devait pas être facile à vivre tous les jours …
"C'est vrai que toi aussi tu es à plier de rire, ce que tu dis à le pouvoir de me blesser."

La pouliche eut un léger sourire, qui finalement disparut aussitôt. Il se moquait d’elle, on n’était pas aussi joyeux après avoir essuyé une remarque. À moins qu'il ne se fiche totalement de ce que pensaient les autres de lui. Mais dans tous les cas, cela l'agaçait. Après un nouveau regard assassin au géant, elle s’apprêtait à répondre, quand il l’interrogea :
"Aufaite, quel est ton nom ?"

L’ambre haussa un sourcil, étonnée du changement de discussion imminent. En même temps, s’entretuer par les paroles ne servaient à rien, si il ne relevait pas. Mais elle fut outrée de la fin des insultes. Elle s’amusait bien, même s’il ne rétorquait pas, ce qui enlevait un peu de piquant. Tout le monde n'était pas identique, et tous les habitants du Cimarron avaient réagi différemment. Pourtant, elle donna un coup de naseaux à sa peinture, et répondit, d’une voix un peu moins tranchante peut-être, et exagérément pour qu'il tilte le sens des mots :
« Tu vois cette chose orange, c’est une fla-me, flameuh. Et bien c’est mon nom. Je m’appelle Flamme. Et toi ?»

Elle fixa avec attention l’idiot, se demandant s’il comprenait quelque chose à ce qu’elle lui disait.

De son éternel sourire, qui semblait avoir été greffé sans qu'on puisse lui retirer (le but d'une greffe, d'ailleurs), le géant répondit avec un soupçon de sarcasme :
"- Jolie prénom, pour ma part c'est Danny. Reprenons les questions stupides, tu vis bien avec les indiens ?"

Flamme récupéra le compliment d'un signe de tête. Il fallait bien leur montrer, aux chevaux en situation de handicap, ce qui était bien ou non. Et une lumière s'illumina dans son esprit déjà franchement fantastiquement merveilleux pour son jeune âge. Il faut dire ce qui est, elle était fichtre intelligente, cette petite ambre champagne. Il ne réagissait pas à ses piques, sauf pour qu'elle récolte l'effet contraire. Alors elle l'aiderait.

Elle avait décidé de reprendre son éducation, ou du moins les bases. Avoir une discussion normale, avec des chevaux normaux, sur des sujets normaux. Parce que, ça la rendait triste quand même, de voir que ces personnes-là n'étaient pas très aimées dans la société des équidés. Et parfois même les humains ne les acceptaient pas. C'était bien embêtant. Elle répondit donc à la question qu'il avait jugée stupide, bien qu'elle trouvait qu'il avait fait beaucoup d'efforts pour ne pas rire :
"Oui, je vis chez les indiens, et toi ? Sinon, chose à part, ce n'est pas trop compliqué de vivre comme ça ?"

Elle se mordit la langue quelques secondes trop tard. C'était peut-être une conversation taboue. Mais bon, il fallait bien voir ce qu'il en pensait, de sa "maladie".

Il ne semblait pas plus mal à l'aise que ça, mais ses yeux étaient plus brillants, sérieux peut-être. Il commençait sans doute à prendre un réel goût pour leur conversation, et Flamme ne savait pas tellement quoi en penser. Il lui répondit, un brin mystérieux :
"- Tout dépend de ton point de vue et de que tu entends par là.."

  Ce qu'elle entendait par là ? Et bah, simplement qu'il avait un handicap, pas forcément très lourd, mais que personne n'avait un état naturel de la sorte. Enfin, elle n'avait jamais vu quelqu'un rire, rire au point s'amuser quand on lui posait une question, ou qu'on se moquait de lui. Alors oui, on pouvait avoir un grand sens de l'autodérision, et être nullement susceptible, mais il y a des limites. Mais maintenant, elle devait lui répondre. Finalement, elle ne supportait pas de rester dans l'ignorance ainsi, et dans l'incompréhension, mais il lui coupa la parole alors qu'elle allait ouvrir la bouche:
"- Je fais partie d'un troupeau. N'est il pas trop dure de vivre avec les hommes ?"

    Dur ? Dur de vivre avec les hommes ? Ses yeux dorés s'écarquillèrent, rendant ses iris plus grande si possible. Mais il était réellement fou ? Les hommes apportaient tout le bien-être du monde, et leur laissaient une semi-liberté. Elle ne se trouvait pas chez les soldats, mais chez les indiens, ces bipèdes aussi proches de leur famille que de leur monture ! Flamme laissa échapper un petit rire, avant de lui répondre, légèrement hésitante :
"Et bien … Ton handicap ? cela doit être un peu difficile à supporter, tout de même. Je ne doute pas de ta capacité à t'adapter, mais, même pour des aussi grosses épaules, le poids est lourd !". Après un sourire enjôleur pour se faire pardonner, et quelques secondes pour lui laisser le temps d'avaler ce qu'elle venait de lui dire, elle enchaîna, beaucoup plus moqueuse. "C'est vrai qu'avoir un endroit où dormir, des hommes qui nous dorlotent, ont toujours une pomme pour nous, et la sécurité, c'est pas simple tous les jours…