Rencontre entre deux mondes, ft Electra

  Le gris galopait à fond, bondissant puissamment au dessus d'obstacles invisibles. Le colonel restait en équilibre, presque comme s'il n'était pas là. Le sable se cognait aux sabots de Stardust, qui ne voudrait jamais s'arrêter. Un nuage de poussière entourait le duo, qui appréciait s'évader du fort, le temps de quelques heures. Le bipède aimait se retrouver avec sa monture, quand il avait le temps, et qu'il ne devait pas rester chez eux pour s'occuper d'affaires inintéressantes. Il n'avait pas même pris le temps de le brosser parfaitement, qu'il lui avait posé la selle, et qu'ils avaient littéralement bondi dehors, dans l'inhospitalier désert.

   Après quelques kilomètres, ils firent une pause, puis repartirent au pas. L'étalon ronchonna intérieurement en voyant la dure pente qu'il devrait escalader. Il se souvenait bien de sa première venue ici, où il s'était écorché les genoux en trébuchant. Si ses blessures n'avaient pas duré, il avait eu mal sur le coup. Cette pensée lui amena une grimace, et il fit doublement attention. Une fine pellicule de sueur se forma sur son encolure, alors qu'il était très concentré sur son effort. Le bleu lui donnait parfois une petite tape sur le cou, ou se contentait de lui murmurer des douces paroles. Sa monture tournait les oreilles, puis fixa inlassablement la roche brunâtre. Il ne pouvait se permettre, ne serait-ce qu'une seconde d'inattention.

  Alors, quand il fut en haut, il fut si heureux ! Le pommelé lâcha un petit sourire, et soupira longuement de contentement, avant de se rendre compte qu'il n'était pas seul au sommet. Il cligna les yeux, surpris, et élargit son sourire, les oreilles en avant. L'homme ne broncha même pas, et descendit doucement, avant de s'éloigner, et de se poser, les jambes pendant dans le vide. Il n'avait pas peur de tomber, non, il avait de l'équilibre. Stardust se retourna vers la jument, puisque c'en était une, et engagea la conversation, enjoué :
"Bonjour ! Je suis Stardust, monture du colonel des soldats. A qui ai-je l'honneur ?"

   La jument ne quitta pas Martin des yeux. Le gris ne la lâchait pas du regard non plus, prêt à en découdre si jamais elle voyait une opportunité de lui faire rapidement dévaler la falaise. Parfois, ses iris bleutées parcouraient d'un air protecteur l'uniforme du soldat, qui affichait une totale tranquillité. Malgré son air sévère avec ses hommes, il pouvait très bien redevenir ce petit enfant, qui observait le soleil entamer sa journalière chute, sa course contre la lune. A cette idée, son cœur se gonfla d'amour pour cet être, qui l'avait dompté, et réciproquement. Plus jamais il ne voudrait changer de cavalier, non, plus jamais. Finalement, leurs regards se croisèrent enfin, et il lâcha un petit sourire, destiné à la décoincer. Elle semblait prête à fuir, au moindre mouvement. Ses muscles apparents étaient tendus, ses oreilles dressées, aux aguets. Il aurait pu la trouver belle s'il avait voulu se trouver une compagne, mais ce n'était pas le cas.
« Je suis Electra, je fais partie d'un troupeau, celui Atlas, une de ses guerrières. Dit moi, c'est qu'il luit ce drôle d'animal qui était sur ton dos ? Dis-moi ce que ses hommes font des chevaux comme moi ? »

   Il hocha la tête, à l'entente de son nom. Il fronça les sourcils, étonné qu'elle ne connaisse pas le nom de bipèdes. Puis il se dit que finalement, les sauvages, puisqu'elle en était une, avaient très bien pu vivre sans en voir un seul de leur vie. Pour sa part, les humains avaient peuplé sa vie dès sa plus tendre enfance. C'était comme une partie de lui-même au final. Et il en était heureux. Heureux que des hommes comme Martin aient sa place dans son cœur. Mais si les chevaux de harde étaient biens, dans leur troupeau, enfoncés dans la profonde nature, qu'ils y restent. C'était deux mondes différents, deux univers.
Enchanté de faire ta connaissance ! Il ne va rien te faire, et moi non plus, sauf si tu essayes de le faire tomber ! Il va pas te capturer, relax !

   Le pommelé tâchait de la décontracter. Il n'aimait pas voir les siens mal à l'aise. Puis, il reprit :
Que fais-tu par ici ?

Stardust souriait encore, quand la jument s'approcha d'un peu trop près. Il esquissa un mouvement de recul, appréciant avoir sa bulle de bien-être mais c'était trop tard. Elle mordit violemment dans sa selle, ce qu'il trouva bien étrange, voire un peu trop osé. Il n'était pas méchant, mais ce comportement particulier ne servait pas à grand chose. Au contraire, il se sentait plus encore éloigné de cette femelle qu'un simple inconnu. Elle ne connaissait sûrement pas les selles, vu comment elle avait regardé Martin, mais on aurait réellement dit un poulain trop joueur. Elle se recula, et plongea ses yeux dans les siens.
« Je... Je... Je... Suis venu... Ici... Parce que... Heu... Faire un tour »

Un peu suspicieux, il hocha la tête. Sans rechigner, il laissa la sauvage le reluquer de la tête aux sabots. Puis s’interrogea. Pourquoi bégayait-elle de cette façon ? C'était terrible et cela devait être terriblement angoissant. D'avoir peur de parler au point de buter sur chaque mot. Elle leva le sabot et partir en quête d'herbe, Mais elle était dans le désert. Et dans le désert, il n'y avait que des cailloux et du sable. Même un poulain le savait. Elle reprit, tentant en vain de réveiller le bleu qui restait ébloui par le paysage :
« Désole de ne pas faire confiance aux hommes ou bipèdes, je ne savais pas qu'il pouvait être aussi calme, pour moi, il était des bêtes qui voulaient seulement nous monter et nous capture à tous points. »

Elle savait donc parler en alignant parfaitement les mots. L'innocent, il mis ça sur le coup de la peur des hommes. Il ne l'avait pas remarquée le dévorer littéralement des yeux, trop préoccupé par le reste sort qui avait abimé sa selle. C'est fortement spécial comme réaction que de dévorer un objet qui aurait pu être immangeable.
« C'est quoi tous ces trucs sur toi . Ce que j'ai mordu la tout de suite . J'ai cru que cet a mangé vu qu'il y a une bonne odeur, je ne sais pas ce que c'est d’où vient telle. »

Une bonne odeur ? Elle était complètement timbrée ! Non, il secoua la tête, n’ayant pas voulu être méchant. Cette action lui était juste resté en travers de la gorge, mais ce n'était pas une raison pour se moquer d'elle et la critiquer de la sorte. Elle n'était qu'une sauvage qui ne connaissait pas les équipements, elle n'était pas à blâmer plus qu'un autre. Doucement, il reprit, d'une voix sereine et moins chaleureuse qu'il ne l'aurait souhaité :
“Les hommes sont comme les chevaux. Ils sont tous différents, c'est tout. Mais ce n'est pas grave, tu ne pouvais pas savoir. Ce que j'ai dur le dos, c’est une selle. C'est pour qu'il puisse être installé confortablement. Enfin, je crois …”

Il lâcha un petit sourire, souhaitant la décoincer, en espérant qu'elle ne lui en veuille pas trop de son ton sec. Jamais il n'était désagréable avec ses congénères, sauf Colère ou encore Khyda, qui avait le don de le faire sortir de ses gonds par sa froideur naturelle et ses airs de princesse du fort. Heureusement, elle s’était échappée, pour le bien de tous. Elle qui avait longtemps clamé qu’être en captivité n'était pas son truc avait enfin mis ses objectifs à exécution. Et c'était un réel soupir de bien-être qu'avaient poussé les montures de soldat quand elle était partie. Une pétasse de moins. Mais malgré l'agacement qu'il éprouvait quand elle lui parlait, il espérait qu'il ne lui était pas arrivé malheur, comme à tous les autres. Disparus sans la moindre nouvelle …
“M’enfin, ça ne sert à rien de gratter le sol, tu ne formeras qu'un nuage de poussière. Avec un peu de chance tu trouveras de l’eau, qui sait ? Et que fais tu par ici ? La vue est magnifique !”

Il embrassa le paysage des yeux, et son regard s'attarda sur le brûlant soleil.

  La jument se décala, se mouvant dans tous les sens, pour lui tourner autour. Le regard intrigué, il la vit faire son petit manège, à laisser son regard se poser partout où elle le voulait. Tantôt sur la selle, que sur son filet, et même sur lui. Un peu embarrassé de cette observation, il fut heureux de la voir s'arrêter, pour s'apercevoir qu'elle se collait finalement à lui. Un brin agacé, il se décala presque imperceptiblement, pour ne pas la blesser par son geste, qui n'était pas méchant. Il haïssait qu'on le colle ainsi, mais des chevaux, eux, adoraient le contact, et n'hésitaient pas à se rapprocher de leurs congénères. Pourquoi ? Et bien, sûrement qu'ils se sentaient plus en sécurité, après tout. Mais ce n'était pas pour lui plaire. Il prit sur lui pour ne pas la froisser, s'étant déjà trouvé trop désagréable, lui ayant parlé comme à une innocente pouliche qui ne comprenait rien à la vie.
« C'est vrai que c'est beau, je suis arrivé ici en me perdant, je galopais pour oublier et me voilà. »

   Son intonation avait quelque chose de particulier. Comme si, elle même, était perdue dans sa tête, incapable de se situer, dans le monde. Il hocha la tête, et se détourna, fixant l'au-delà, profitant de ne plus sentir le regard inquisiteur de l'autre. Leurs yeux bleus étaient plongés les uns dans les autres, et ça le dérangeait. Il avait pu saisir son air égaré, mais ne souhaitait pas en savoir davantage. Oh, il se trouvait affreusement méchant, de la juger ainsi, mais elle avait un caractère qui ne lui plaisait pas vraiment. Seulement, il ne pouvait pas la juger, alors qu'elle était bien mieux que certaines de ses connaissances, à lui. Il s'avança, vers le fond. Les cailloux se cognaient contre ses sabots, et les yeux marrons de Martin semblaient lui hurler de ne pas s'approcher trop. Qu'importe, il n'avait pas peur, malgré son équilibre parfois instable. Il n'allait pas se jeter en haut de la falaise, non, simplement voir ce qu'il y avait en bas. Ou voir de plus près l'horizon. Le soleil éclatant lui brûlait les yeux, alors que, perché tout en haut des pics, il l'affrontait. L'astre lumineux pouvait bien se moquer de cet insignifiant étalon, qui jouait avec le feu. Il se détourna, et fit demi-tour, rejoignant la jument, qui reprit :
« Où capturez-vous les chevaux ? »

  Un triste sourire apparut sur son visage. Toujours les sauvages vivaient dans la crainte de se faire capturer, même dans des terres où les soldats étaient bien loin d'être les rois. Jamais, où qu'ils soient, ils n'arrachaient des chevaux à leur liberté, brisant les liens qui les reliaient à leur famille, à leur troupeau, leur enlevant leur envie de vivre. Ils se contentaient de les acheter aux nomades, en échange de biens si particuliers que s'offraient les hommes. Ses iris bleutées brillèrent joyeusement, heureux de pouvoir dire à Electra qu'elle ne craignait rien ici, et partout ailleurs. Ou du moins, pour ce qui était affaire des bleus. Les pumas, ou les auteurs de cette étrange disparition, n'avaient pas de notions de frontières, et n'hésitaient pas à bouleverser un merveilleux quotidien, en dévorant, attrapant des équidés.
"Nous n'attrapons personne, que ce soit dans le désert ou autrement. Ils savent se fournir des montures autrement qu'en les capturant, alors ne tremble pas si tu vois une patrouille. Mais ne t'y attardes pas non plus. Des idiots débutants pourraient enfreindre les règles !"

  Il ne faisait illusion à personne en particulier, mais préférait ne pas se sentir coupable si jamais cela arriverait. On ne pouvait jamais être sûr de la loyauté des soldats, et surtout de leur intelligence. Et si la jument s'approchait des bleus, elle était tout bonnement inconsciente. Pour ne pas s'étaler trop longtemps sur le sujet, il reprit d'une voix douce, l'interrogeant sur sa précédente réflexion :
"Et que voulais-tu oublier ?