[EVENT - ACHEVÉ] « Lorsque brûle la rivière »

Lorsque brûle la rivière

EVENT INDIENS

Il était plongé dans un sommeil sans rêves. C'était bien, ainsi. Lorsque des images se glissaient entre ses paupières fermées, c'étaient toujours d'effroyables compagnes. Chaque nuit, il s'éveillait avec la sueur qui collait ses poils, dans un sursaut plein de détresse. Du moins, les nuits où il parvenait à trouver un peu de ce sommeil dont le tiraient aussitôt ses cauchemars. Anoki ne connaissait plus la sensation d'être parfaitement éveillé. La fatigue était devenue son lot quotidien ; un épuisement tant physique que moral.
Cette nuit-là encore, Morphée ne serait guère son ami. Les mauvais rêves qui avaient fui son subconscient semblaient avoir trouvé un abri clément dans la réalité. A présent, les senteurs âcres qui titillaient ses naseaux le tiraient de son repos paisible pour le plonger dans un cauchemar bien réel.

(c) PF

Lorsque brûle la rivière

EVENT INDIENS

« Le village est en feu ! »

Anoki fut brusquement happé par la réalité. Il chuta avec violence hors du sommeil et se heurta brutalement à l'éveil. Tout autour, des hennissements et des cris commençaient à s'élever dans l'air étrangement lumineux pour une nuit de nouvelle lune. Un congénère bouscula le kerry bog dans un galop hâtif, achevant de le réveiller. L'air était piquant, âcre. Un indien, juché sur sa monture lancée à pleine allure vers le camp, hurlait au feu. Anoki n'eût pas le temps d'avoir peur, de réfléchir, pas même d'être tétanisé : il hennit à son tour, et se jeta vers le tipi le plus proche. Celui de Bidziil. Il saisit la peau entre ses dents et tira de toutes ses forces. L'instant d'après, Winona poussait un cri de surprise en jaillissant de l'habitation, qui résistait tant bien que mal aux assauts de l'étalon. Son père la suivait de près. Il empoigna une mèche de la crinière d'Anoki, qui s'élança vers la source lumineuse avant même qu'il ne soit installé sur son dos.

Plusieurs tipis étaient en proie aux flammes. Leurs occupants tentaient désespérément d'éteindre le brasier en y frappant des couvertures et en y déversant le contenu de toutes les outres et récipients d'eau qu'ils trouvaient à proximité, mais le feu se répandait bien trop vite. Anoki aperçu un indien qui tentait de sortir de son habitation tout ce qu'il pouvait encore sauver alors qu'elle partait en fumée. Tandis qu'il se penchait pour entrer encore une fois à l'intérieur, le kerry bog se lança vers lui et le percuta, le repoussant loin du tipi qui s'effondra à peine une seconde plus tard.

« Sortez des tipis ! » hurla Bidziil en faisait faire volte-face à sa monture.

Anoki entrevit la silhouette de Jolan qui approchait, monté sur Nuage d'Orage. Comprenant la volonté de son cavalier, il galopa vers eux.

« Jolan, trouve Winona et quelques guerriers et occupez-vous de l'évacuation du camp. Faîtes traverser la rivière, avec des chevaux. Emmenez les chiens et les autres animaux. » ordonna le vieil homme à son fils.

Il s'apprêtait à retourner vers les flammes, mais se retourna brusquement pour ajouter :

« Si tu trouves Perched Owl, dis-lui de me rejoindre. » ajouta-t-il.

Jolan acquiesça. Anoki échangea un regard tendu, presque affolé, avec Nuage d'Orage avant que celui-ci ne fasse demi-tour en direction du centre du village. La robe dorée du jeune mâle, rougeoyante à la lueur des flammes, disparu dans l'épaisse fumée noirâtre qui envahissait le campement. Le feu se répandait beaucoup trop vite, porté par le vent qui agitait la nuit.
Bidziil dirigea Anoki vers un guerrier qui accourait, portant une grande poterie débordante d'eau. Une partie de ses vêtements était noircie, là où ils avaient été brûlés. Le kerry bog sentait ses poumons qui peinaient déjà à puiser de l'air.

« Sunka Ushte ! interpella Bidziil. Prends les guerriers les plus forts et les chevaux les plus robustes, et jetez de l'eau sur tout ce qui n'est pas encore atteint. Faîtes tomber les tipis et tirez tout ce que vous pourrez vers la rivière. Jolan t'aidera lorsqu'ils auront fini d'évacuer. »

Anoki sentit la pression contre ses flancs et s'élança dans la fumée. La lumière vive l'éblouit lorsqu'il contourna un tipi et se retrouva face aux flammes. Il réprima la toux qui gonflait dans sa gorge. Bidziil donnait à présent ses consignes aux indiens qui s'affairaient près des flammes. Quelque part non loin, le kerry bog entendait des craquements qui indiquaient qu'un arbre proche s'embrasait. Sous ses sabots, l'herbe verdoyante devenait un tapis enflammé. Il se sentait impuissant. Comment lutter contre un ennemi si féroce, un adversaire que l'on ne pouvait pas même approcher ? La fumée faisait pleurer ses yeux et l'aveuglait. Il laissait son cavalier le guider dans une totale confiance. Ses oreilles étaient assaillies par des cris, des toux, des crépitements. Chaque inspiration devenait un peu plus difficile.
Bidziil le fit soudainement ralentir, et bondit à terre. Anoki le vit disparaître dans son tipi, encore indemne puisqu'au centre du village, et en ressortir presque aussitôt. Il harnacha en vitesse son cheval d'un vieux bât acheté aux nomades des années plus tôt, et y plaça des récipients habituellement destinés à récolter l'eau de pluie. Avec quelques difficultés dues au harnachement, il se hissa sur sa monture et lui demanda de nouveau le galop tout en achevant d'installer le bât. Anoki comprit que l'homme le dirigeait vers la rivière. Évitant les humains et chevaux qui couraient en tout sens dans le village, il força l'allure. Il ne s'arrêta que lorsqu'il fut dans la rivière, de l'eau jusqu'au ventre ; Bidziil serra les jambes autour de ses flancs et se pencha pour remplir chaque récipient et chaque outre qu'il portait. Anoki en profita pour jeter un regard vers ceux qui évacuaient le village, un peu plus loin.

Il repéra à leur tête la silhouette de Nuage d'Orage, monté par l'une des anciennes du village et deux jeunes enfants. Jolan traversait à pieds à côté de lui, un troisième enfant juché sur ses épaules. Derrière eux, dans une file compacte, des chevaux avançaient. Tous portaient des cavaliers, souvent deux ou trois ; des enfants trop petits pour passer la rivière à pieds, des anciens trop fragiles. Tout autour, des indiens à pieds les accompagnaient. Anoki reconnu Winona, un porte-bébé dans le dos et un enfant contre la hanche, qui s'accrochait désespérément à elle. Non loin, Ozalee aidait Imahel, son jeune demi-frère. Le kerry bog n'eut pas le temps de chercher ses autres poulains du regard ; Bidziil avait rempli la dernière outre. L'étalon fit demi-tour pour remonter sur la rive. Il leva le regard vers le camp, et sentit son cœur rater un battement.
S'il avait suffit de quelques secondes à Bidziil pour remplir les récipients, il n'avait pas fallu plus longtemps pour que le feu se propage encore. Les arbres à proximité n'étaient plus que des torches gigantesques, prêtes à s'effondrer. Le feu s'étalait à travers le village, gagnant sa périphérie du côté ouest. Le camp crachait encore des guerriers soutenant les plus faibles, qui s'éloignaient en hâte vers la rivière ; des chevaux paniqués s'élançaient à leur suite. Anoki craignait qu'ils ne puissent sauver leurs maisons.

(c) PF

Lorsque brûle la rivière

EVENT INDIENS

Anoki n'avait plus la moindre idée du nombre de fois où il avait galopé jusqu'à la rivière et en étant revenu avec son fardeau liquide. Malgré ses efforts, qu'il partageait avec d'autres montures, le feu ne semblait pas reculer. Au contraire, il se propageait un peu plus à chaque instant, le vent poussant les escarbilles dans tout le village. Le seul petit espoir qui le maintenait dans cette lutte vaine était la vue des chevaux chargés de sauver le plus de choses possible, galopant vers la rivière en traînant de grossiers travois où étaient attachés à la hâte toute sortes de peaux et d'objets utiles. Jolan et ceux qui l'aidaient avaient réussi à évacuer tous ceux qui le nécessitaient, et s'étaient joints aux efforts en déchargeant les travois et en ramenant les chevaux les moins épuisés. Il fallait gagner le plus de temps possible, ralentir ne serais-ce qu'un petit peu les flammes.
Perched Owl s'était joint à son père pour tenter de stopper l'incendie ; Plum galopait aux côtés d'Anoki, elle-même chargée de grandes outres. Sa belle robe argentée était tachée de suie et de sueur, mais elle semblait décidée à continuer tant qu'il resterait encore quelque chose à sauver. Ils plongèrent ensemble dans la rivière, juste le temps de reprendre un peu leur souffle pendant que les humains récupéraient l'eau si précieuse. A peine commençaient-ils à retrouver une respiration un peu moins sifflante, qu'il leur fallait déjà retourner vers les flammes, dans la fumée épaisse qui collait à leurs poumons, au milieu des escarbilles rougeoyantes qui leur brûlaient le corps, alourdis par l'eau salvatrice. Anoki aperçu soudain une masse claire qui le rattrapait pour galoper à sa hauteur. Lorsque la voix de Jolan retentit, il comprit qu'il s'agissait de Nuage d'Orage. Le jeune palomino revenait de la rive opposée avec un travois. Anoki voulu lui demander des nouvelles de ceux qui étaient en sécurité, ou même simplement l'encourager d'une parole, mais il ne parvint qu'à émettre une nouvelle quinte de toux. Bidziil passe une main contre son encolure blanchie d'écume. Anoki savait que s'il décelait qu'il était à bouts de force, son cavalier l'emmènerait immédiatement en sûreté sur l'autre rive. Le kerry bog serait toujours plus important à ses yeux que n'importe quel bien précieux qu'il pourrait tirer hors du village. L'étalon secoua la tête, comme pour se donner encore un peu de courage. Il entendait à ses côtés le martèlement des sabots et le souffle de Plum et Nuage d'Orage. Il comptait aux yeux de Bidziil autant que les deux cavaliers qui l'entouraient. Père et fils se soutenaient mutuellement, et transmettaient leur force à leurs trois montures pour affronter les flammes. C'était sa famille. Il ferait tout pour la sauver.

(c) PF

Lorsque brûle la rivière

EVENT INDIENS

Un tipi embrasé s'effondra tout près du sextuor. Les braises s'envolèrent tout autour d'eux, et Anoki les sentit tomber sur sa robe où elles roussirent ses poils. Il secoua la tête pour chasser les escarbilles de son toupet, et accéléra un peu l'allure. Le souffle de Plum se faisait un peu plus bruyant à chaque foulée, et il savait qu'elle était tout autant épuisée que lui. Nuage d'Orage et son cavalier se séparèrent d'eux pour virer vers les rares tipis indemnes, à la lisière des flammes. Eux deux, ils se jetaient droit sur le brasier, luttant contre leurs instincts et contre la peur naturelle qui les gagnait. Ils devaient protéger le village. Protéger leur maison.
Bidziil lâcha sa crinière et se redressa au-dessus de son dos. La fumée s'intensifia lorsqu'il jeta le contenu d'un premier récipient sur l'un des tipis embrasés. Mais les flammes reculèrent à peine. Les membres d'Anoki s'étaient mis à trembler, tendus à l'extrême. Ils lui étaient douloureux, mais il refusait de le montrer, il refusait d'abandonner. Pas encore.

« Père ! »

Cavalier et monture se tournèrent d'un seul mouvement. Hoka Iyotake, l'aîné du chef, fonçait droit sur eux. Sa jument, Mahpiya, avait les yeux exorbités par l'effort. Les guerriers qui les accompagnaient foncèrent sans ralentir dans le village pour prêter main forte. Ils avaient probablement aperçu la lumière au loin, et avaient abandonné leurs recherches des chevaux disparus pour revenir au camp.

« Les flammes sont en train d'encercler le village ! Il faut évacuer, immédiatement ! » hurla Hoka Iyotake.

Anoki sentit la tension dans les muscles de Bidziil. Ils avaient remarqué que les flammes commençaient à se répandre le long des flancs est et ouest, mais, si celles-ci gagnaient le sud, elles les prendraient au piège. Ils étaient déjà aveuglés par la fumée, et peinaient à respirer. Si le feu leur barrait le chemin vers la rivière, ils allaient tous mourir ici. Depuis les hauteurs d'où il venait, Hoka Iyotake avait probablement eu une bien meilleure vue qu'eux, qui ne percevaient plus que la lumière qui perçait à travers le rideau obscur.

« Prends le côté ouest. Perched Owl, côté est. Ordonnez à tous de retourner à la rivière ! » lança Bidziil en faisant faire volte-face à Anoki.

L'étalon s'élança vers la rivière. Même sans comprendre tout à fait les mots des humains, il avait saisit la situation. Sans savoir si d'autres l'entendraient, il hennissait aux chevaux encore présents de fuir. Sur son dos, Bidziil renversait au sol les outres remplies d'eau, devenues inutiles.

« A la rivière ! Tout le monde évacue ! » hurlaient les cavaliers.

Anoki entendait leurs voix, à travers le camp, les hennissements des chevaux qui transmettaient eux aussi le message. Ses poumons parviendraient-ils à supporter la brûlure jusqu'à ce que lui et Bidziil soient en sécurité ? Ses membres n'allaient-ils pas défaillir à la foulée suivante ? Sa vision brouillée ne lui était guère très utile à présent. Il épuisait ses dernières forces, galopant à travers le village qui avait été, tant d'années durant, sa maison. Sur la place centrale, le petit feu qui ne devait jamais être éteint, celui qui avait toujours réchauffé et illuminé l'endroit, qui avait nourrit les humains de retour de la chasse, semblait bien frêle et inoffensif face à l'incendie dévastateur. Anoki passa, en une fraction de seconde, près des restes du tipi de son cavalier. Tout avait été anéantit. Leur maison n'était plus.

« Abandonnez le camp ! »

(c) PF

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